Au bloc opératoire, l'impératif écologique se greffe à l'exigence de rigueur médicale : pour réduire l'empreinte carbone en chirurgie, les gaz anesthésiants les plus polluants font place à des alternatives moins nocives.
Bastions des bistouris, d'éclairages puissants, de machines de monitoring, de systèmes de ventilation, de gaz pour endormir les patients, les salles d'opérations comptent pour environ 40% des émissions de gaz à effet de serre des hôpitaux et génèrent environ 30% de leurs déchets.
Selon de nouvelles données de The Shift Project présentées lundi, 7% des émissions proviennent en France de l'usage des gaz médicaux (inhalateurs, gaz halogénés utilisés en anesthésie et le protoxyde d'azote qui représente 30% de ces émissions), ce qui équivaut "aux émissions générées par plus de 75.000 tours de la terre en voiture thermique".
- Fuites majeures -
"En France, sur les cinq dernières années, on a supprimé à peu près à 98% le desflurane", gaz anesthésique inhalé parmi les plus polluants avec une durée de vie dans l'atmosphère de 14 ans, au profit du sévoflurane dont l'impact environnemental est moindre, indique à l'AFP Jean-Michel Constantin, président de la société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar).
Quant au protoxyde d'azote (N?O), l'un des plus vieux gaz anesthésiques utilisé en association avec d'autres anesthésiques, il a quasiment disparu lui aussi du bloc opératoire chez l'adulte en raison de son impact délétère sur l'environnement et ne reste que faiblement utilisé en pédiatrie.
Selon la Sfar, un collectif d'écoresponsabilité en santé (Ceres) et le syndicat national des pharmaciens des établissements de santé (Synprefh), ce gaz a un pouvoir de réchauffement de 265 à 300 fois supérieur au dioxyde de carbone et peut rester plus de 100 ans dans l'atmosphère.
Problème : des fuites majeures, responsables d'environ 90% de la consommation, sont constatées sur les réseaux dans les murs des bâtiments hospitaliers.
"Il y a encore 500 établissements de santé qui ont des circuits équipés en protoxyde d'azote", dénombre Jean-Michel Constantin.
Les experts appellent à ne plus alimenter ces réseaux avant la fin de l'année et incitent à utiliser à la place des petites bouteilles de N?O.
"L'arrêt de cette forme de distribution permettra d'économiser 115.000 tonnes d'équivalents CO2, soit à peu près l'équivalent de 13.000 tours de la Terre en voiture thermique", a calculé The Shift Project.
- Anti-gaspillage -
En post-opératoire, la pratique a évolué aussi.
Pendant longtemps les chirurgiens ont eu l'habitude d'administrer des antalgiques par voie intraveineuse à la sortie du bloc. Désormais le recours au paracétamol en comprimé tend à se généraliser.
"Même efficacité et vous diminuez l'impact carbone par 12" en éliminant les perfusions, les pochettes et "tout le plastique dans la tubulure", précise à l'AFP Patrick Pessaux, professeur de chirurgie viscérale.
Les efforts se poursuivent sur bien d'autres terrains : le tri des déchets produits par le bloc s'est imposé, l'éclairage chirurgical par LED est devenu la norme et les tenues à usage unique se raréfient.
Fini aussi le tout jetable pour les petites collations, retour à la vaisselle.
"En 2017 il n'y avait aucune poubelle au bloc opératoire de tri", se souvient M. Pessaux, qui préside le comité "transition écologique en santé" de la Fédération hospitalière de France. "Aujourd'hui, on trie tout: le verre, le métal, le plastique, le papier. Et c'est recyclé".
Y compris les lames de laryngoscope en inox, qui permettent d'intuber le patient.
Pour limiter le gaspillage, responsable d'"un cinquième des déchets au bloc", le contenu des boîtes de chirurgie a été recalibré au plus près des besoins de l'intervention. "Inutiles les 20 clips pour une chirurgie d'ablation de la vésicule biliaire, il n'en faut que 6", détaille M. Pessaux.
Côté médicaments, l'utilisation de seringues préremplies évite d'en préparer trop avant l'intervention et de devoir jeter celles qui n'ont pas été utilisées.
Enfin, pour réduire la consommation d'énergie, les experts suggèrent de mettre en mode veille les systèmes de traitement d'air du bloc en période d'inactivité.
"Il y a une émulation entre les hôpitaux. C'est fondamental d'essayer de faire plus propre, moins polluant, mais la priorité reste quand même de maintenir la qualité des soins", conclut M. Constantin.