Guerre des bassines: après la sécheresse, "ultime bataille" de l'eau dans le marais poitevin

Après la sécheresse, que faire de la pluie? Des agriculteurs veulent stocker de l'eau en hiver pour irriguer leurs terres assoiffées en été, mais ces "bassines" soulèvent l'hostilité des écologistes. Dans le marais poitevin, militants et politiques se mobilisent dimanche pour une "ultime bataille".

Basile Baudouin a attendu la pluie cet été, mais rien n'est tombé sur sa prairie de luzerne. Dans cette partie du marais poitevin, l'eau a encore manqué, obligeant la préfecture à restreindre l'irrigation, presque une habitude.

"Si demain on ne peut plus irriguer, on n'a plus de fourrage pour nourrir les bêtes l'hiver, donc il faudra l'acheter à l'étranger", explique à l'AFP cet agriculteur de 31 ans, qui élève 400 chèvres avec son frère à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres).

Pour lui, la "survie" de l'élevage se trouve devant son champ, sur une parcelle de 7 ha où une réserve d'eau d'un volume équivalent à des dizaines de piscines olympiques pourra alimenter une douzaine d'agriculteurs même en période de restriction.

L'exploitant a adhéré à la "Coop de l'eau", une coopérative d'agriculteurs qui porte un projet de 16 bassins d'irrigation pour 220 exploitations, principalement situées dans le sud des Deux-Sèvres, en Charente-Maritime et Vienne, sur le bassin de la Sèvre niortaise, crucial pour l'alimentation du marais poitevin, deuxième zone humide de France.

Ces ouvrages pourront engranger en hiver 6,9 millions de m3 d'eau, pour un coût de 60 millions d'euros, partagés entre fonds publics et les exploitants qui irrigeent.

- Risque d'assèchement des nappes phréatiques -

Leurs détracteurs les appellent les "bassines". Lors de l'enquête publique en 2017, le projet avait provoqué la colère des associations environnementales, devenant un cas emblématique des conflits d'usage de l'eau entre agriculteurs et écologistes.

Surmontées de hautes digues et plastifiées, ces retenues hors-sol servent à stocker l'eau en hiver, en prélevant la ressource dans les rivières ou les nappes quand il a plu, pour être utilisée en été.

Le gouvernement veut développer ces solutions, défendues par les Irrigants de France et le syndicat majoritaire FNSEA. "Plus de 50 projets sont en cours de validation", selon le ministère de la Transition écologique.

Mais les opposants dénoncent le risque d'assèchement des nappes profondes, autour de ces retenues d'eau surdimensionnées et destinées seulement à quelques agriculteurs. Ils les accusent aussi de soutenir des cultures gourmandes en eau, comme le maïs, et réclament des espèces résistantes à la sécheresse.

L'eau stockée en surface est "soumise à la pollution et à l'évaporation" et empêche les nappes de se recharger, rappellent des scientifiques comme Christian Amblard, hydrobiologiste et directeur de recherche honoraire au CNRS.

"L'utilisateur premier de l'eau, c'est le milieu lui-même", résume Emma Haziza, hydrologue et fondatrice du centre de recherches Mayane.

"L'effet d'une retenue sur un territoire sera différent d'un endroit à l'autre, selon le sol, le climat, le relief", relève Gabrielle Bouleau, ingénieure en chef des eaux et forêts, et chercheuse sur les enjeux politiques de l'eau à l'institut Inrae.

- "Continuer le modèle productiviste" -

Le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie a dit en juillet vouloir "simplifier" les procédures et encourager le "dialogue".

Mission impossible? Pour sortir du conflit dans les Deux-Sèvres, l'Etat a piloté des rounds de négociation débouchant en décembre 2018 sur un protocole d'accord "inédit" entre agriculteurs, écologistes et acteurs publics.

De 19, le projet a été abaissé à 16 retenues, et l'accord conditionne l'accès à l'eau à des changements de pratiques agricoles : rotation et diversité des cultures, moins de produits phytosanitaires, aménagement de haies pour la biodiversité. Il permettra de "réduire de plus de moitié les captages en été, quand les nappes sont au plus bas", selon Thierry Boudaud, président de la Coop de l'eau.

"Chaque agriculteur devra faire un diagnostic (...) et acter des orientations. Pour certains ce sera l'agriculture biologique, pour d'autres l'élevage. Le bio passera de 8 à 25%", assure-t-il.

D'abord dans le camp des opposants, la Coordination pour la défense du Marais poitevin et Deux-Sèvres Nature environnement ont accepté l'accord, rassurées par les garanties. "Des pénalités seront prévues pour ceux qui ne respectent pas les engagements", relève Yanick Maufras, président de Deux-Sèvres Nature.

Mais sur le terrain, la résistance continue, menée par le collectif "Bassines non merci!" qui dénonce "une opération de greenwashing". "Les bassines sont là pour continuer le système tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, c'est-à-dire un modèle productiviste", estime Julien Le Guet, l'un des porte-parole.

- La Région sous pression -

"On voudrait des agriculteurs qui nous nourrissent et qui n'exportent pas notre eau à La Pallice (port de La Rochelle), c'est-à-dire le maïs exporté pour nourrir les animaux en fermes-usines!", dénonce Jean-Jacques Guillet, un autre parole-parole.

Pour Thony Martins, éleveur de vaches maraichines, les retenues hypothèqueraient un peu plus les eaux du marais poitevin, déjà en tension hydrique chronique. "Avec les assecs successifs des rivières, ma prairie n'est plus verte, elle est jaune !".

Le collectif appelle à une grande manifestation dimanche avec Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (LFI) et l'altermondialiste José Bové, pour "l'ultime bataille", sur l'un des sites du projet, à Epannes. Objectif : empêcher le début des premiers travaux prévus au printemps 2021.

Revigoré par la poussée écologiste dans les urnes et à quelques mois des régionales, le collectif veut mettre la pression sur le président PS de la Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset, dont dépend la validation d'un financement européen. Un membre de l'assemblée régionale résume : "plus on se rapproche des élections régionales, plus c'est un dossier qui se tend".

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