Face au déclin rapide des récifs coralliens, les scientifiques en Guadeloupe expérimentent des techniques de restauration, avec un espoir fragile: ralentir la perte d'un écosystème vital.
"Depuis les années 1980, on assiste à une diminution de la taille et du nombre des colonies de corail", alerte Charlotte Dromard, docteure en écologie marine à l'université des Antilles.
En 2020, un rapport de l'Ifrecor estimait que seuls 30% des coraux guadeloupéens étaient encore en bonne santé. Depuis, la situation s'est encore aggravée, renforcée par les épisodes de canicule marine de 2023 et 2024, quand l'eau a atteint près de 31°C durant plusieurs semaines.
"On a perdu plus de 10% de la couverture corallienne restante d'un coup", déplore la chercheuse.
Pollution, ancres de navires, dégradation physique: outre la chaleur, les causes de destruction sont multiples. Fin mai, un yacht de 62 mètres a même été soupçonné d'avoir endommagé 300 m³ de récif, déclenchant une enquête.
- Restauration difficile -
Certains tentent par tous les moyens de ralentir la catastrophe. En mai, le Grand port maritime de Guadeloupe a clôturé un projet financé par des fonds européens de 4,7 millions d'euros qui devait tester des solutions de restauration fondées sur la nature, aussi bien dans les mangroves que sur les herbiers ou les récifs.
Pour ces derniers, les équipes ont misé sur deux types d'acropora, coraux emblématiques des Caraïbes et particulièrement menacés, aux allures de cornes de cerf ou d'élan.
Protégées par un arrêté de 2017, ces espèces ne peuvent être manipulées qu'avec dérogation. Le Grand Port a obtenu cette autorisation, contrairement aux autres organismes de recherche.
"On a choisi ces coraux pour leur capacité de reproduction et de croissance", explique Milton Boucard, expert en conservation et écologie sous-marine.
Deux fermes coralliennes ont été créées, avec l'objectif de faire grandir près de 2.500 boutures sur des structures immergées, avant de les transplanter sur le récif. Résultat: un taux de survie très faible lors des premières tentatives - 2 à 3 % -, légèrement meilleur ensuite.
Parallèlement, les scientifiques ont développé une méthode locale de collecte de gamètes des coraux, pour les féconder et les élever dans des couveuses-aquariums en mer. "Une technicité qu'on est les seuls à maîtriser", affirment-ils fièrement.
- Urgence face au dérèglement -
"On a montré qu'on était autonomes sur nos propres boutures et sur leur régénération avec nos élevages", se félicite Nicolas Diaz, responsable environnement du Port.
"En revanche, on n'a pas encore de savoir-faire abouti en matière de conservation et de restauration écologique", nuance-t-il. Il imagine de tester la transplantation dans des zones plus saines, loin de la baie industrielle et très fréquentée de Pointe-à-Pitre.
Les chercheurs misent aussi sur les "super coraux", capables de résister à des eaux plus chaudes. Mais les connaissances manquent encore, et les financements de long terme ne sont pas garantis.
"Si on ne tente rien, tout sera perdu de toute façon", tranche Charlotte Dromard. Elle compte mener chaque mois une opération de "désalguage" sur un récif pour retirer les grosses touffes d'algues, préserver les jeunes pousses et favoriser le retour des poissons, crabes et oursins herbivores.
Mais la menace plane. Canicule marine, maladie ou cyclone pourraient anéantir ces efforts. Or la saison des ouragans vient de commencer en Guadeloupe. Et selon Météo-France, elle s'annonce "sensiblement supérieure à la normale", portée notamment par des températures anormalement élevées à la surface de l'océan.