"Gilets jaunes": Macron n'arrive pas à se faire entendre au-delà des "Bac+5" (politologue)

La crise des "gilets jaunes" montre l'étroitesse de la base sociologique soutenant Emmanuel Macron, qui rend inaudible le message du président sur l'urgence écologique, estime Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités à la fondation Jean-Jaurès.

QUESTION: L'irruption apparemment inorganisée des "gilets jaunes", leur exaspération revendiquée face à la fiscalité ont conduit à comparer ce mouvement aux jacqueries de l'Ancien régime. Qu'en pensez-vous ?

REPONSE: "Les jacqueries, les révoltes urbaines, et finalement l'implosion de l'Ancien régime manifestaient le défaut de consentement du peuple à l'impôt, à cause de l'injustice. La question de la fiscalité des carburants soulève elle aussi la question plus profonde du consentement à l'impôt. Les "gilets jaunes" évoquent la taxe sur les carburants, mais aussi la CSG, les retraites, les charges sociales sur les entreprises pour ceux qui sont indépendants ou petits patrons. C'est fondamental, parce que le consentement à l'impôt est fondé sur la redistribution. Il baisse quand les services publics s'éloignent, que les filets de sécurité deviennent moins nombreux et que les écarts de richesse augmentent.

Mais faire outre-mesure l'analogie avec l'Ancien régime serait parfaitement excessif. Je ne fais pas partie des gens qui pensent qu'Emmanuel Macron se comporte comme Louis XVI, et que son pouvoir est un pouvoir monarchique absolu."

Q: Le slogan "Macron, démission !" est parmi les plus entendus sur les sites de blocage. Le président peut-il enrayer la perception d'un pouvoir hautain, éloigné du peuple et ignorant de ses préoccupations ?

R: "Emmanuel Macron a raison sur l'urgence absolue de la transition énergétique. Mais il y a beaucoup de progrès à faire dans l'exposition à nos concitoyens de l'urgence qui n'est pas une urgence pour la génération d'après, mais pour notre génération. Une partie des habitants l'entend, y compris d'ailleurs dans le monde rural. Mais il y a encore de la pédagogie à faire. Encore faut-il avoir le choix de garder ou abandonner sa voiture, et ceux qui défilent avec les "gilets jaunes" n'ont pas ce choix.

Le sujet principal aujourd'hui pour le chef de l'État, c'est de faire comprendre qu'il a des objectifs à long terme qui peuvent être partagés par une base sociologique plus large que celle des Marcheurs. On ne peut pas gouverner durablement avec un parti dont 80% des adhérents sont bac +5. C'est une assise trop étroite. L'urgence pour le parti présidentiel, c'est d'élargir sa base. Ce n'est pas du tout désespéré, car il est possible de faire comprendre à des gens qui ne sont pas bac +5 que la transition écologique les concerne. Il y a aussi moyen de parler d'Europe en n'accrochant pas uniquement les CSP +."

Q: Quel débouché politique peuvent avoir les "gilets jaunes", un mouvement pour l'heure sans structure permanente ni attache partisane ?

R: "Samedi, on ne verra peut-être plus que les éléments les plus déterminés, avec une orientation idéologique plus affirmée. Et c'est vrai qu'on a vu tous les chefs de groupuscules de l'ultra-droite sur les points de blocage. Mais il serait absurde de prétendre que le mouvement est aux mains de l'ultra-droite ou du RN. D'ailleurs, Marine Le Pen a eu l'intelligence de rester assez modeste dans son niveau de réaction, car elle sait que rien n'est acquis et que ces gens sont pour beaucoup déjà des abstentionnistes.

Au-delà, les Européennes vont être assez dures à passer pour le parti présidentiel (...), et l'un des problèmes structurels de l'action politique au XXIe siècle, c'est que toute action économique donne des résultats qui ne sont visibles qu'après le terme du mandat. Vous ne pouvez plus, structurellement, changer les choses en cinq ans. Si vous faites, comme Emmanuel Macron, le constat qu'il y a des blocages en France et qu'il faut les lever, le temps que vous les leviez, vous êtes au terme de votre mandat."

PROPOS recueillis par Christophe SCHMIDT