"Ca va bien au-delà de l'essence" : A 50 ans, Dominique, "gilet jaune" mobilisé sur un barrage filtrant lundi à Martigues (Bouches-du-Rhône) n'a "plus de boulot et n'en retrouvera pas". Il vit avec 500 euros par mois et n'en finit pas de pester contre le gouvernement.
"Ils nous prennent tout", s'indigne le quinquagénaire qui n'a "plus rien à perdre" et manifestera "aussi longtemps qu'il le faudra, le pays marche sur la tête". Cet ex-technicien en naphtachimie a été "viré suite à une maladie professionnelle". Sur ce barrage filtrant depuis samedi, près des raffineries de Fos et Lavera, il a fait des rencontres, et découvert "une solidarité qui fait chaud au coeur".
Il a sympathisé avec Pascale, 54 ans, venue manifester pour "ces gens qui n'ont rien". Cette agente administrative n'a pas de voiture, elle se déplace "à pied ou en moto comme passagère", mais elle juge que "c'est pas que l'essence le problème, c'est qu'on nous dévalise, on n'a plus rien".
Ils sont une grosse centaine à se réchauffer autour d'un feu de palettes allumé au milieu de la D9. Des banderoles proclament "Fraudes et évasions fiscales : 150 milliards perdus", "Macron démission", "Ras-le-bol d'être des pigeons".
Posté au milieu d'une voie bloquée par des poubelles couchées, des chariots et un panneau de signalisation arraché, Alain "filtre" les voitures, les laissant passer au compte-gouttes en roulant sur le trottoir.
"L'idée c'est pas d'empêcher les gens d'aller bosser à la raffinerie ou sur les sites chimiques, c'est juste de ralentir, de montrer qu'on est là", explique Alain. "Mais c'est vrai que je dois souvent calmer les jeunes qui voudraient bloquer totalement la route". Il incite les automobilistes à enfiler le gilet jaune et à klaxonner les manifestants.
-"insoutenable"-
Ils sont nombreux sur ce rond-point de Martigues, à travailler dans l'industrie chimique. Comme Fabien, 30 ans, chef d'équipe. "Je fais 90 km tous les jours et ma femme, qui est enceinte, ne travaille pas. On vit avec mon seul salaire. On dépense 150 euros d'essence par mois, ça devient insoutenable", raconte-t-il.
"Je participerai tant qu'on n'est pas récupéré par des politiques", assure-t-il. Lui aussi déplore "un pouvoir d'achat réduit à rien". "Ici on n'est que des petits salaires, les autres ça les concerne pas", assure-t-il, se réjouissant de l'esprit de fête. "On a passé un super weekend, il y a beaucoup de solidarité ici, des commerçants nous ont apporté des pizzas".
"On n'arrive plus à vivre, et puis on ne verra jamais un retraité payer 30.000 euros pour se payer une voiture électrique, c'est impossible",estime Jean-Maire, 76 ans, retraité de la chimie. Ce septuagénaire à la moustache grise met en garde : "si on augmente encore le diesel, ça va être répercuté sur la marchandise dans les supermarchés, donc on va être pris deux fois dans l'engrenage, on va payer deux fois".
Les retraités sont nombreux. Michelle, 76 ans, se décrit comme la "mamie" de la manifestation. La pétulante retraitée aux cheveux auburn sert des thés chauds et des pains au chocolat. Elle est venue en famille, avec son fils salarié de l'industrie, et compte bien rester manifester "jusqu'au bout, sauf si les CRS arrivent, je n'ai pas la force !"
"Il fallait agir, on tape toujours sur les mêmes, faut pas s'étonner avec un président banquier", dit Michelle. Contrairement à la plupart des "gilets jaunes" présents, elle a l'habitude des manifestations : "je suis la fille d'un réfugié espagnol, je suis à gauche, j'ai longtemps milité à la CGT". Mais sur les barrages, "on ne parle pas politique, même si je sais bien que beaucoup sont à droite".
Une voisine, elle aussi vêtue de la chasuble fluo, vient lui donner une recette d'ail à la tomate. "Je cuisine en grosses quantités pour faire des bocaux pour moins dépenser", explique cette dernière, qui "n'a plus travaillé depuis un accident". "On a seulement la retraite de mon mari, 1.300 euros par mois, avec un enfant encore à charge", détaille-t-elle. Pour Noël, elle économise depuis deux mois, "pour offrir un petit quelque chose à ses quatre petits-enfants".