Géoingénierie: l'Académie des sciences met en garde contre un risque de "chaos climatique"

L'Académie des sciences appelle, dans un rapport publié jeudi, à l'adoption d'un accord international bannissant toute initiative "publique ou privée" de modification du rayonnement solaire pour refroidir la Terre, en mettant en garde contre la "probabilité d'un chaos climatique incontrôlable".

"Les méthodes de modification du rayonnement solaire pourraient, en théorie, permettre de refroidir la Terre à court terme, mais au prix de risques considérables à long terme si la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère restait élevée", soulignent les académiciens.

L'échec de l'humanité à réduire suffisamment ses émissions de gaz à effet de serre à l'origine du réchauffement climatique relance l'intérêt pour la géoingénierie solaire, en particulier pour la technique la plus aisément déployable, qui consiste à injecter des aérosols réfléchissants, notamment des particules de soufre, dans la stratosphère, imitant ainsi l'effet d'une éruption volcanique.

L'Académie des sciences met en garde contre les nombreuses incertitudes de cette méthode, sur la santé humaine, l'hydrologie ou la couche d'ozone. Mais le principal risque de cette technique est celui qui surviendrait en cas d'interruption brutale des injections d'aérosol.

Cela "entraînerait inévitablement un rattrapage climatique, appelé choc terminal, caractérisé par un réchauffement global extrêmement rapide" ainsi que "des changements climatiques rapides et inégaux selon les régions, bien trop soudains pour que les sociétés humaines et les écosystèmes aient le temps de s'y adapter", souligne l'Académie.

Dans cette optique, "la probabilité d'un chaos climatique incontrôlable est très élevée", ajoutent-ils et "les bénéfices potentiels" d'une telle technique "ne compenseraient pas les conséquences négatives probables, tant à l'échelle locale que globale".

- "Un leurre"-

"Cette approche peut relever d'un leurre (...) C'est une illusion qui peut freiner les efforts indispensables de réduction des émissions de gaz à effet de serre", a résumé jeudi la climatologue Valérie Masson-Delmotte, lors d'un séminaire sur la géoingénierie à l'Ifremer à Brest.

Malgré cette ferme mise en garde, les académiciens ne ferment pas complètement la porte à certaines formes de géoingénierie. "Si on veut atteindre les objectifs climatiques, on va avoir besoin d'émissions négatives", explique à l'AFP l'académicien Laurent Bopp, coauteur du rapport.

"Car on n'a pas été capables de baisser nos émissions assez vite pour se conformer aux objectifs de l'Accord de Paris", souligne le climatologue. Mais aussi parce que tous les scénarios permettant d'atteindre la neutralité carbone prévoient une part d'élimination du CO2 atmosphérique.

Le rapport recommande ainsi de soutenir la recherche sur le stockage de CO2 dans la biomasse vivante terrestre et les sols (forêts, prairies permanentes, etc.), sur le piégeage de carbone par les océans (restauration des écosystèmes, alcalinisation de l'océan), mais aussi sur le captage direct de CO2 dans l'atmosphère.

L'objectif est ainsi de faire "un tri" dans les différentes techniques, selon M. Bopp. "Il y en a certaines pour lesquelles, dès aujourd'hui, on peut dire non. Sur les techniques où c'est encore ouvert, on a besoin de recherche".

"Il y a beaucoup de trous de connaissance et il faut pousser sur la recherche", a appuyé l'océanographe Jean-Pierre Gattuso.