La piste cyclable, éclairée par des lampadaires basse consommation, fait face à la mer...et, à l'horizon, aux cheminées des usines. Sur son vélo, Denis sourit: "A Fos-sur-mer, on est écolo, même si on ne sait pas ce qu'on respire!".
Le sexagénaire, qui ne souhaite pas donner son nom de famille, pédale, "mange bio" et profite des infrastructures modèles de cette ville de 17.000 habitants. Mais il ne se fait pas d'illusions sur la qualité de l'air près de la première zone industrialo-portuaire (Zip) de France.
Aciéries, raffineries et usines chimiques s'alignent à Fos-sur-Mer, à qui elles ont apporté la prospérité.
Dans son bureau surplombant l'étang de l'Estomac, le maire divers gauche Jean Hetsch vante une "redistribution" des richesses de la ville aux 100 millions d'euros de budget annuel: une "Maison des arts" flambant neuve, des repas à la cantine à partir de 30 centimes d'euros, 100 euros de chèques-cadeaux par famille à Noël...
"Si Fos est ce qu'elle est, c'est grâce aux entreprises", reconnaît-il tout en assurant que "l'enjeu environnemental sera au coeur de la prochaine élection".
- "Effet cocktail" -
Après l'accident de l'usine de Lubrizol à Rouen, les Fosséens regardent-ils autrement les 13 sites classés Seveso --présentant des risques industriels-- qui les entourent?
"Ca n'a rien changé, ici chacun connaît les risques, les habitants sont habitués aux exercices de sécurité qu'on réalise très souvent", assure M. Hetsch, montrant, dans une armoire fermée à clé, de gros classeurs contenant "toutes les informations d'urgence des sites classés".
Plus qu'un accident industriel majeur, les habitants craignent davantage la pollution quotidienne de leur atmosphère. "Même si chacune des usines respecte les normes, c'est l'effet cocktail, mal connu et pas évalué, qui nous menace", assure M. Hetsch.
"C'est notre nouveau combat: l'abaissement des normes d'émissions de polluants", glisse-t-il. Car depuis 15 ans et l'accession à la mairie du socialiste René Raimondi, à qui M. Hetsch a succédé en 2018, la municipalité vise la transparence sur le sujet.
Dans cette zone industrielle créée sur plans au début des années 1970, "à la place des flamants roses et des taureaux", selon M. Hetsch, les usines se sont implantées par dizaines. Mais en 2004, un projet d'incinérateur pour traiter les déchets marseillais allume la mèche de la révolte.
La lutte, virulente, contre l'incinérateur est vaine, mais déclenche une "prise de conscience" et la création de l'Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions (IECP), financé en partie par la mairie.
Les résultats de ses études ainsi que de celles conduites par des chercheurs indépendants sont sans appel: les habitants de la Zip sont surexposés au plomb, au benzène, souffrent davantage d'asthme, de diabète ou de cancer...
- Santé "fragilisée" -
Début 2017, une étude indépendante concluait que les femmes de Fos-sur-mer et de la ville voisine de Port-Saint-Louis avaient trois fois plus de cancers que la moyenne nationale.
Un an après la publication de cette étude, l'Etat français, par le biais de l'Agence régionale de santé (ARS), a reconnu que l'état de santé des habitants de la zone de Fos était "fragilisé" par la pollution.
Pour Philippe Chamaret, directeur de l'Institut écocitoyen, "les choses ont beaucoup changé ces cinq dernières années". "Après les cris et les combats, les Fosséens ont maintenant conscience de vivre sur un territoire pollué, mais de pouvoir améliorer" les choses.
Pressé par les scientifiques, les habitants et la mairie, le ministère de la Santé a annoncé la création d'un registre des cancers sur le territoire de l'Etang de Berre.
"Ca fait 50 ans que je vis à Fos, je ne suis pas suicidaire, je ne me balade pas avec une bouteille à oxygène", raille Philippe Maurizot, candidat à la mairie (LR). Le conseiller municipal d'opposition juge que le maire en place ferait mieux de "s'attaquer aux incivilités plutôt que d'agiter le chiffon rouge de la pollution".
Il juge "hypocrite" le soutien de M. Hetsch aux différentes plaintes d'habitants et d'associations contre X pour la pollution, "sans jamais nommer telle ou telle entreprise, puisqu'elles font vivre la ville".
A Fos-sur-Mer, tous les candidats, M. Maurizot compris, se disent écologistes mais en prenant garde de ménager l'industrie.
A tel point que les Verts, dont les représentants nationaux se sont souvent rendus à Fos comme emblème de la pollution, n'y présentent pas de liste: "Ce n'est pas un choix délibéré, s'il y avait des candidats ils seraient les bienvenus!", avoue à l'AFP le secrétaire régional d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), Guy Benarroche.
Aux élections européennes, Europe écologie n'a rassemblé que 8,25% des voix des Fosséens.