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Questions de fonds

L’huile de palme a-t-elle sa place dans un portefeuille ISR ?

Chaque trimestre, ID interroge des gérants et/ou spécialistes de l'investissement sur la présence a priori paradoxale de secteurs controversés dans des portefeuilles ISR. Pour ce deuxième numéro, échange avec Ophélie Mortier, Responsable de la stratégie ISR chez Degroof Petercam AM. 

ID : L’huile de palme a-t-elle vraiment sa place dans un portefeuille ISR ?

La réponse de...

Ophélie Mortier, Responsible Investment Strategist chez DPAM.

 

 

Ophélie Mortier - Responsable de la stratégie ISR chez Degroof Petercam AM 

 

 

 

Sur le plan environnemental, un rapide coup d’œil sur l’évolution des cartes de Malaisie, d’Indonésie et plus particulièrement celle de l’île de Sumatra ne laisse planer aucun doute sur l’ampleur des dégâts de la déforestation suite à la plantation des palmiers. La déforestation et la destruction des tourbières, liées à la production effrénée durant la dernière décennie d’huile de palme sont des contributeurs importants au changement climatique puisque le carbone, précédemment enfermé naturellement par les forêts tropicales est maintenant relâché dans l’atmosphère. On estime que la déforestation tropicale a une contribution supérieure à 10 % des émissions CO2 globales annuelles.

Sur le plan social et économique, l’industrie est une source d’emploi et de revenus importants pour le pays, les producteurs et les services liés. Ainsi, des écoles sont construites, des emplois sont créés et la population locale tend à un revenu récurrent et correct. Ici, il faudra rester attentif aux relations et aux équilibres entre petits et grands producteurs et les possibles risques d’exploitation des premiers par les seconds.

Nous écarterons de facto la question de la santé qui reste très discutable par déficit d’information d’une part et par la composition des produits finis avec lesquels l’huile est associée d’autre part. C’est-à-dire des produits industriels aux graisses saturées qui eux-mêmes ne sont ni sains ni équilibrés.

Etant donné son enjeu social, il nous parait plus constructif et plus responsable d’accompagner cette tendance durable au sens premier. C’est-à-dire, qui va durer dans le temps pour un développement durable à tous points plutôt que de rejeter en bloc le phénomène.

Comment expliquer le succès de l’huile de palme ?

La production d’huile de palme présente de nombreux avantages parmi les principaux : la facilité de production, la résistance du palmier, la meilleure rentabilité du produit ainsi que la stabilité et la constance du produit. En effet, ces dernières années ont vu la croissance importante des huiles végétales au détriment des huiles animales qui souffrent d’une réputation négative pour la santé. L’huile de palme présente le grand avantage d’utiliser entre 5 à 9 fois moins de terre que ses pairs tels que le colza ou le soja. C’est d’ailleurs un point important qui a fait l’objet de l’étude sur l’huile de palme et biodiversité publiée par UICN : l’interdiction de l’huile de palme conduirait une aggravation de la détérioration de la biodiversité puisqu’elle serait alors remplacée par d’autres plantes oléagineuses réclamant davantage de terres pour une production similaire.

Impact environnemental : comment gérer la croissance effrénée de production ?

La problématique de la déforestation est avant tout liée à un essor de la production oléagineuse trop rapide et hors contrôle de la décennie précédente. Aujourd’hui, les producteurs responsables sont attentifs à deux points essentiels de la production : d’une part la gestion des zones de tourbière et d’autre art le cycle de vie du palmier. En effet, les zones de tourbières sont critiques car s’as- séchant rapidement, elles peuvent conduire à des incendies dévastateurs pour le capital biodiversité environnant. Les palmiers sont plantés pour une durée de vie d’environ 25 ans et ils arrivent à maturité après 3 ans en moyenne. Il est important qu’un mécanisme de compensation existe pour les petits producteurs qui leur assure un revenu minimal durant ces trois années de croissance et les incite à respecter les besoins de jachères entre deux cycles de plantations.

La certification d’huile responsable comme solution

Aujourd’hui, les standards de l’huile de palme certifiée ont été rehaussés pour répondre aux effets néfastes de l’essor effréné des dernières années. Ainsi, la certification de la Roundtable For Sustainable Palm Oil (RSPO), initiative globale créée en 2004, est très stricte sur la question de l’expansion de la production qui est fortement contrôlée et inclus l’interdiction de la déforestation. Son objectif est de promouvoir la croissance et l’usage de l’huile de palme durable selon des standards globaux crédibles et l’engagement avec toutes les parties prenantes. Depuis 2004, les critères de certification sont revus tous les cinq ans en moyenne afin que les erreurs du passé ne soient répétées. Il faut néanmoins sensibiliser le consommateur à exiger l’huile certifiée. En Europe, celle-ci est disponible en quantités suffisantes pour couvrir la demande des consommateurs. En Asie du Sud Est et en Chine la production sert directement à l’alimentation locale. Aujourd’hui, le consommateur asiatique est insensible à la question (...).

Défi social : le modèle plasma en exemple

Notre monde actuel consomme 225 milliards de tonnes de graisse et ce niveau n’a de cesse à augmenter dans les économies émergentes qui tendent à converger vers des niveaux de consommation similaire à ceux observés aux Etats-Unis ou en Europe. Cette augmentation concerne essentielle- ment la demande en huiles végétales. Avec ses nombreux avantages, l’huile de palme est ici pour durer et rester. Dès lors, faisons en sorte qu’elle dure avec des mesures concertées, une intervention des pouvoirs publics et une sensibilisation du consommateur à une production qui répond à des enjeux environnementaux et sociaux interconnectés. Les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer ici. Ainsi, certains pays producteurs sont bien plus contraignants que d’autres sur les standards d’exploitation. À ce niveau, l’Indonésie présente une infrastructure et une réglementation moins développées que par exemple la Malaisie peut exiger.

Lorsque ces différents enjeux sont intégrés, promus et encouragés comme bonnes pratiques du secteur, l’huile de palme a sa place dans un portefeuille ISR puisqu’elle soutient le développement durable d’une population.

 

 

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