Sara Carvalho de Oliveira, analyste ESG chez Sycomore AM.
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Engagement actionnarial : quand Sycomore se mobilise pour l’égalité femmes-hommes en entreprise

Sycomore a lancé fin 2018 une campagne d'engagement actionnarial sur le thème de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Sara Carvalho de Oliveira, analyste ESG au sein de la société de gestion, revient sur le déroulement et le bilan de ces dialogues.  

Quels enjeux ont motivé le lancement de cette campagne ?

Aujourd’hui, si l’on regarde les plus grandes capitalisations aux Etats-Unis (S&P 500) et en Europe (S&P Europe 350), il n’y a encore que 5 % de femmes parmi les CEO. Plus généralement dans le secteur privé, moins d’un tiers des postes de direction et de cadres intermédiaires sont occupés par des femmes au niveau global. Évidemment, ces chiffres varient selon les régions, mais le constat général reste largement partagé : les progrès en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes, s’ils existent, sont encore trop lents et ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, qui a des implications pour l’égalité hommes femmes dans la société et plus largement pour le développement durable.

Si l’on applique l’exercice à nos portefeuilles ISR, l’observation est sans surprise assez similaire, avec en moyenne 15 % de femmes dans les comités exécutifs des entreprises dans lesquelles nous investissons, contre 14 % pour l’ensemble des valeurs de l’EuroStoxx. Cet indicateur apparait d’ailleurs dans nos reportings annuels sur la performance ESG de nos fonds car avoir des femmes au plus haut niveau de l’entreprise est un réel vecteur d’égalité entre hommes et femmes dans le reste de l’organisation. Ceci justifie d’autant plus le choix de faire de cette thématique un axe fort de notre politique d’engagement actionnarial.

Il est également question d’enjeux économiques…

L’un des chiffres les plus symboliques est celui auquel est parvenu le McKinsey Global Institute, qui a estimé que si chaque pays dans le monde atteignait le niveau d’égalité des sexes du pays le plus avancé dans sa région, cela ajouterait 12 000 milliards de dollars au PIB mondial d’ici 2025. À un niveau plus micro, de nombreuses études ont montré l’apport de la diversité cognitive dans la performance des organisations : , celles qui présentent une plus grande mixité démontrent une plus grande capacité à innover ou à anticiper les risques.

Concrètement, comment se déroule l’engagement actionnarial sur ce sujet ?

Nous avons identifié trois leviers d’action. Le premier est le dialogue que nous entretenons avec les entreprises depuis de nombreuses années. Il s’agit d’aborder aussi souvent que possible ce sujet au cours de ces dialogues et pas uniquement avec des interlocuteurs ESG mais également avec les directeurs financiers par exemple. L’objectif est de montrer aux entreprises l’importance que nous y accordons en tant qu’actionnaire et de les encourager à progresser.

Ensuite et pour aller plus loin, nous avons réalisé des entretiens entièrement dédiés au sujet afin de passer en revue les différentes dimensions associées à la thématique : la gouvernance et la stratégie, la mesure et l’analyse de la performance, les actions qu’il est possible d’entreprendre pour faciliter l’accession des femmes aux postes de direction, en s’inspirant par exemple d’initiatives déjà existantes au sein d’autres compagnies, ainsi que la communication et la transparence. Cela nous permet d’approfondir notre compréhension du sujet et des difficultés rencontrées et de communiquer aux entreprises des axes d’amélioration.  

Enfin, le dernier levier consiste à s’associer à d’autres acteurs pour mener des actions collaboratives. Fin 2019, nous nous sommes par exemple associés à 65 autres investisseurs internationaux, représentant 4 000 milliards d’euros d’actifs sous gestion, pour cosigner une déclaration commune envoyée à plus de 1000 entreprises pour les inciter à s’engager à agir pour l’égalité entre hommes et femmes en signant les Women’s Empowerment Principles des Nations Unies.  

Cette thématique transparaît également dans votre politique de vote…

Nous avons intégré depuis quatre ans le critère de diversité hommes/femmes à notre politique de vote et nous prononçons notamment contre les nominations de nouveaux administrateurs masculins dans les conseils n’ayant pas atteint 40 % de femmes. Cependant, les résolutions proposées en Assemblée Générale ne permettent pas de s’exprimer directement sur la question de la promotion des femmes dans le management à tous les niveaux de l’entreprise. C’est pour cela que le dialogue est essentiel pour agir sur ce sujet.

Globalement, quel est le profil des entreprises avec lesquelles vous avez dialogué ?

Notre souhait était d’avoir un échantillon aussi divers que possible, à la fois en termes de taille, de secteur d’activité et de zone géographique, représentatif de nos portefeuilles et surtout varié dans le niveau de maturité des entreprises. L’idée étant de s’inscrire dans une dynamique de partage des bonnes pratiques, il était essentiel de s’adresser à des acteurs en pointe pour avoir leurs retours d’expérience, comprendre ce qui avait marché…mais aussi à des acteurs moins avancés afin de diffuser ces démarches exemplaires.

Ces actions ont encore du mal à se traduire en progrès chiffrés, car beaucoup d’entreprises restent peu avancées sur la mesure de la performance, avec finalement un recul limité sur l’impact des démarches menées.

Comment ont-elles accueilli votre démarche ?

C’est le constat le plus positif. Globalement, nous avons constaté que les entreprises avaient déjà atteint un niveau de prise de conscience assez élevé sur cet enjeu, et ce, indépendamment de leur pays d’implantation, de leur secteur ou de leur taille.  Il est même apparu que cette thématique était finalement davantage considérée que d’autres sujets ESG, à la fois en interne et en externe chez les différentes parties prenantes. Il est vrai que le contexte sociétal crée du momentum autour du sujet et nous constatons une accélération dans les démarches.

Pourtant, ces actions ont encore du mal à se traduire en progrès chiffrés, car beaucoup d’entreprises restent peu avancées sur la mesure de la performance, avec finalement un recul limité sur l’impact des démarches menées. Rares sont celles qui ont développé une approche « data » de la question, en analysant par exemple les résultats des enquêtes de satisfaction employés par genre ou en utilisant leurs données RH pour apporter des réponses appropriées aux difficultés qui peuvent être différentes par région ou par fonction. Pourtant, nous avons observé que l’adoption d’une démarche centrée sur la donnée permettait une prise de conscience accrue.  C’est un axe de travail sur lequel nous souhaitons insister au cours de nos dialogues futurs.

Autre point sur lequel les entreprises restent encore globalement en retrait : les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Même s’il est obligatoire de publier des indicateurs en la matière au Royaume-Uni et en France, un grand nombre d’entreprises se sont saisi de ces obligations a minima, en ne reportant par exemple que sur le périmètre de la filiale concernée par la réglementation et très rarement au niveau du groupe.

Un autre sujet encore peu abordé est celui des politiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, notamment lorsqu’il est question de soutien à la parentalité. Nous avons observé des démarches intéressantes mais qui restent à démocratiser : par exemple, Kering a récemment annoncé le passage à 14 semaines de congés payés pour l’ensemble des collaborateurs nouvellement parents dans tous ses pays d’implantation. C’est une démarche qui a vocation à donner accès aux mêmes avantages à tous les collaborateurs et à faciliter un meilleur partage des responsabilités parentales entre hommes et femmes..

Peut-on observer des disparités selon les secteurs ou les pays dans lesquels opèrent ces entreprises ?

Nous ne sommes pas allés dans le sens d’une analyse par secteur ou par zone géographique et notre échantillon ne permet pas de tirer de conclusions.. En revanche, le secteur peut effectivement avoir une incidence sur la source du problème : typiquement, sur les secteurs déjà très féminisés, la question sera de savoir pourquoi les femmes restent bloquées à un certain niveau de la hiérarchie. Les secteurs moins féminisés auront quant à eux l’enjeu supplémentaire d’attirer davantage de femmes dans les effectifs. Le facteur différenciant est surtout la culture d’entreprise et le fait que le top management soit engagé sur ces sujets. Très souvent, les entreprises les plus avancées sont celles où des personnes haut placées se sont emparées du sujet, indépendamment de leur secteur d’activité.

Quel bilan tirez-vous de cette campagne ?

Nous considérons qu’il faut au minimum un an pour mesurer les progrès sur un axe d’amélioration soumis à une entreprise. Nous avons suggéré des axes de progrès assez variés avec des objectifs précis communiqués aux entreprises. Il s’agit par exemple de mettre en place une stratégie pour augmenter la part des femmes dans le management, d’instaurer une action qui a porté ses fruits chez d’autres acteurs ou encore de publier certains indicateurs, notamment les écarts de rémunération. Fin 2019, nous avons ainsi constaté des progrès complets ou partiels sur 48 % des axes d’amélioration soumis en 2018. C’est un résultat satisfaisant, même s’il recouvre des objectifs assez hétérogènes.

Plus globalement, comment considérez-vous l’engagement en tant que levier de changement ?

L’impact d’un asset manager passe évidemment par la sélection des valeurs qu’il détient en portefeuille, et notamment des meilleurs acteurs en termes de développement durable. Mais une autre partie essentielle repose sur le fait d’utiliser notre influence en tant qu’actionnaire pour encourager et accompagner les entreprises dans des démarches de progrès. C’est notamment pour cette raison que nous insistons sur l’importance d’un dialogue personnalisé et direct, afin de bien comprendre les problématiques de chaque entreprise et d’identifier pour chacune des axes d’amélioration spécifiques et qui s’inscrivent dans le long terme. 

En partenariat avec Sycomore AM. 

 

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