Féministe et agricultrice, Mélodie Seznec souhaite parcourir le "dernier kilomètre" contre le sexisme

"Femme au bureau, homme sur le tracteur: c'est pas nous ça!" Cheffe d'exploitation à part égale avec ses associés, Mélodie Seznec a deux ambitions: "faire pousser de beaux légumes" et parcourir le "dernier kilomètre" qui sépare le monde agricole de l'égalité homme-femme.

Sous une serre, l'agricultrice de 34 ans réunit ses longs cheveux blonds en une natte puis s'accroupit pour enfoncer des plants d'oignons dans la terre meuble.

Avec son compagnon et le cousin de ce dernier, elle a créé la Ferme des Trois Chemins, une petite exploitation de maraîchage biologique à Saint-Agil, dans le Loir-et-Cher.

"Pendant trois ans, on a réfléchi à comment se répartir les tâches de manière équitable", explique-t-elle. "Dans les fermes +tradi+, la femme reste au bureau faire l'administratif pour que l'homme puisse consacrer tout son temps aux champs."

"On voulait éviter ça. Si j'ai décidé de faire ce métier, c'est pour faire pousser de beaux légumes, pas pour gérer la paperasse."

Venue du monde salarié après avoir étudié à l'Ecole du Louvre et dans une école de commerce, l'agricultrice a tenu à avoir "le même statut juridique que (ses) associés: cheffe d'exploitation."

"Comme ça j'ai le même pouvoir de décision (...) les mêmes droits, les mêmes devoirs."

L'agricultrice tenait à éviter le statut de "conjointe collaboratrice". Instauré en 1999, il a permis de donner un statut légal aux femmes d'agriculteurs, jusque là restées dans l'ombre, sans protection sociale, mais reste "un sous-statut".

"Parce qu'elles cotisent moins, les conjointes collaboratrices auront une plus petite retraite", explique-t-elle. "Les économies se font sur leur dos."

Faire le choix de l'égalité coûte cher, regrette-t-elle. "En étant trois chefs d'exploitation, on va payer beaucoup plus de charges, et on ne se paiera pas de salaire avant deux ans."

Mais "c'est indispensable", insiste l'agricultrice aux yeux verts.

- Tracteur et boulonneuse -

La salopette tachée de boue, Mélodie se hisse avec assurance sur son tracteur.

"Le tracteur, dans les fermes +tradi+, c'est typiquement masculin alors que c'est presque la tâche la plus facile à faire", sourit-elle, se souvenant d'une ferme où les hommes, même sans permis de conduire, pouvaient utiliser le tracteur, tandis qu'elle n'y avait pas le droit.

"Dans le milieu agricole, il y a eu de grandes victoires féministes (...) donc on aurait tendance à penser que ça y est, tout est gagné mais en fait, ça va se jouer sur des petites choses, un ressenti", confie-t-elle.

Si des ouvriers viennent les aider à monter leurs nouvelles serres, "ils ne vont pas me donner les mêmes infos qu'aux garçons parce qu'ils vont considérer que je ne sais pas tenir une boulonneuse", dit-elle.

"Ca peut passer pour de la galanterie, mais non, c'est du sexisme. C'est le dernier kilomètre sur lequel on doit travailler dans le milieu agricole", relève-t-elle.

Autre détail: sa salopette est en réalité une tenue de voile, car "les vêtements de maraîchage ne sont pas du tout adaptés aux formes féminines".

Engagée auprès de la Confédération paysanne, l'agricultrice a décidé de se présenter sur la liste de ce syndicat pour les prochaines élections à la Chambre d'agriculture du Centre-Val de Loire.

"Je ne me sens pas forcément légitime, mais s'il n'y a pas de femme qui se présente alors nos causes ne seront jamais entendues", plaide-t-elle.

- "Et la lessive?" -

Parents de deux enfants en bas-âge, Mélodie Seznec et son compagnon Maxime Lallot, 25 ans, veillent aussi à se "répartir équitablement les réveils la nuit (...) l'intendance et la charge mentale".

Quand les matinées de semis s'éternisent et que la fatigue se fait sentir, ils écoutent parfois un podcast féministe sous la serre, raconte le troisième associé Cyprien Hedde, 26 ans, qui vit avec le couple. "Ca provoque des débats, ça réveille!"

"Par exemple, qui se charge de la lessive?", demande Mélodie. Elle rit face au regard penaud de ses associés. "Personne apparemment, vu qu'on a six paniers de linge en retard!"