Face au risque de blocage des sites pornographiques en France s'ils ne contrôlent pas l'âge des internautes, le géant mondial du secteur Mindgeek n'exclut pas de rendre inaccessibles ses plateformes vidéo dans le pays, selon un dirigeant de son nouvel actionnaire.
Le fonds canadien Ethical Capital Partners (ECP) a récemment mis la main sur le groupe, qui possède notamment Youporn et Pornhub, et doit donc faire face à la menace de la justice française de bloquer ses sites le 7 juillet, en application d'une loi de 2020 qui lui impose une réelle vérification de l'âge des visiteurs, et non plus une simple déclaration de majorité.
"Dans toutes les juridictions où nous opérons, nous respectons la loi", assure à l'AFP l'avocat Solomon Friedman, spécialiste des questions de régulation et associé du fonds. Il a également été ordonné rabbin en Israël en 2005.
Aux Etats-Unis, où certains Etats ont établi des restrictions, Mindgeek a jusqu'ici adopté diverses position.
En Louisiane, il s'est plié à l'obligation légale de mettre en place une vérification d'âge qui utilise l'identité numérique fournie par l'administration. Mais, dans l'Utah, il a préféré fermer plutôt que de devoir traiter directement des informations personnelles.
"Du coup, l'utilisation des VPN (des logiciels pour changer l'origine de sa connexion, NDLR) a explosé", rapporte M. Friedman, qui ne souhaite pas pour l'heure "spéculer" sur ce que sera sa décision en France.
Pour protéger les mineurs, la seule solution "efficace", selon lui, est une vérification d'identité directement sur les smartphones, "qui pourrait être mise en place demain" si l'industrie, les fabricants de téléphones et les régulateurs s'accordent.
Il se dit aussi prêt à rencontrer le ministre français délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, qui avait lancé une invitation en mars et a depuis proposé un projet de loi pour renforcer les pouvoirs de blocage du régulateur du numérique.
ECP, basé à Ottawa, a racheté en mars 100% de Mindgeek, un empire du porno fondé en 2004. Le siège du groupe est au Luxembourg mais ses principaux bureaux sont à Montréal.
- "Stigmatisation" -
L'entreprise cherchait à se vendre depuis la publication fin 2020 d'une enquête du New York Times mettant en évidence la présence sur ses plateformes de vidéos de viols, de pédophilie et de pornographie abusive. Ses dirigeants sont partis à l'été 2022.
Malgré ces graves accusations, Solomon Friedman évoque lui "une extraordinaire opportunité d'investissement".
L'équipe du fonds rassemble deux avocats, un ex-policier, une experte de la communication de crise et un investisseur italien qui a fait fortune dans la vente légale de cannabis. Les autres investisseurs restent discrets.
Selon Solomon Friedman, Mindgeek a changé depuis les "allégations" du quotidien américain: huit millions de vidéos ont été retirées, il faut prouver son identité pour mettre en ligne des vidéos, tout le contenu est soumis à une modération par des algorithmes et des salariés à Chypre et les vidéos sont suspendues à la moindre demande de suppression.
"Nous pensons que l'entreprise doit être plus transparente et que la société va évoluer" sur la pornographie, insiste Sarah Bain, une autre associée d'ECP.
"La honte et la stigmatisation (du porno, NDLR) empêchent un débat public nécessaire", regrette Salomon Friedman, qui rappelle que Pornhub revendique 130 millions d'utilisateurs quotidiens.
Dans l'immédiat, ECP voudrait surtout rétablir les relations avec les systèmes de paiement Visa et Mastercard, qui ont coupé leur service auprès de la régie publicitaire de Mindgeek, craignant d'être associés par la justice américaine aux agissements du groupe.
M. Friedman affirme viser plus loin: "Nous sommes des investisseurs de long terme, nous allons vers une normalisation de cette industrie comme cela s'est produit pour le cannabis, qui est devenu un business ennuyeux. Vous allez voir petit à petit le type et la qualité des annonceurs évoluer, et cela deviendra courant".