L'espérance de vie à la naissance n'a augmenté que de 0,1 an en un an, mais le chercheur Gilles Pison estime que "des marges de progression" subsistent, notamment dans la lutte contre les cancers liés au tabac chez les femmes.
QUESTION: Vous êtes l'auteur d'une étude de l'Ined (Institut national d'études démographiques), publiée mercredi, montrant que l'espérance de vie à la naissance n'a augmenté que de 0,1 an entre 2017 et 2018, pour les femmes (85,4 ans) comme pour les hommes (79,5 ans). Comment l'expliquer?
REPONSE: Le constat aujourd'hui est que l'espérance de vie, alors qu'elle progressait de trois mois par an depuis le milieu du XXe siècle, ne progresse plus que lentement.
L'une des causes est conjoncturelle: nous avons connu trois hivers (2014-2015, 2016-2017 et 2017-2018) avec des épidémies de grippe saisonnière particulièrement meurtrières, surtout pour les personnes âgées.
Mais elles ne suffisent pas pour expliquer le ralentissement, il faut prendre plus de recul.
La mortalité liée aux infections, comme les blessures, la tuberculose, ou les maladies infantiles, a pratiquement disparu.
Et à partir des années 1960, 1970, l'amélioration de la prévention, de la prise en charge et des traitements des maladies cardiovasculaires a fait que désormais ce n'est plus la première cause de décès en France.
En revanche les cancers connaissent une baisse de la mortalité beaucoup plus lente, voire une augmentation. C'est le cas des cancers liés au tabac chez les femmes.
Q: Quelles sont les différences entre la France et d'autres pays comme le Japon ou les États-Unis?
R: Aujourd'hui les femmes japonaises ont une espérance de vie supérieure de près de deux ans à celle des femmes françaises, or il y a 30 ans le niveau était à peu près le même.
On peut l'expliquer notamment par le fait que de grands progrès ont été effectués dans le domaine des affections cérébrovasculaires et des cancers de l'estomac, auxquels les Japonaises sont plus sujettes que les Européennes.
Les vieilles générations de femmes japonaises ont également peu travaillé et peu fumé par rapport aux femmes européennes.
Pour ce qui est des États-Unis, l'espérance de vie a non seulement ralenti mais reculé.
Des problèmes sanitaires comme le tabac, l'obésité ou les overdoses aux opioïdes en sont la raison, tout comme l'existence d'un système de santé inégalitaire en comparaison des systèmes européens.
En Europe, on a observé que les femmes des pays nordiques et du Royaume-Uni se sont mis au tabac plus tôt que les pays du sud de l'Europe. Et ces pays ont déjà connu depuis quelques années un ralentissement des progrès en matière d'espérance de vie pour les femmes.
Q: Peut-on s'attendre en France à une baisse de l'espérance de vie?
R: Une baisse, ça reste à voir. Il y a encore des marges de progression.
Il faut que la mortalité liée aux cancers chez les femmes se remette à baisser puisqu'elles subissent aujourd'hui avec retard les conséquences de la montée du tabagisme quelques décennies plus tôt.
Pour le plus long terme, la lutte contre les maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer devront prendre le relais des progrès liés aux maladies cardiovasculaires et aux cancers.