Entre attachement et répulsion, des émotions sous nos "déchets"

Des restes peu ragoûtants aux souvenirs auxquels on tient, la question des déchets n'est pas seulement économique mais relève aussi de ressorts plus émotionnels, liés à l'attachement aux objets et à la répulsion pour la saleté.

Quand Mounia El Kotni a décidé d'installer sur le rebord de sa fenêtre à Paris un petit lombricomposteur, elle était très motivée, convaincue de l'importance de ne plus jeter ses épluchures à la poubelle.

Hélas, l'expérience tourne au cauchemar : les cocons qu'on lui donne ne deviennent jamais des vers, les moucherons envahissent sa cuisine. "Ça puait la mort, j'avais l'impression d'avoir un cadavre chez moi", raconte la jeune anthropologue.

Face à un mari "dégouté" par l'idée des vers mangeurs de matière organique et "qui a supporté ça" pour elle pendant un mois, elle finira par renoncer.

Même sans ces aléas inhabituels, un lombricomposteur qui ne sent rien, comme celui que Thierry Sin a installé dans sa cuisine, peut être rebutant. "On est dans le registre de l'émotion, ça ne se raisonne pas", commente l'adepte de cette technique depuis dix ans, pendant qu'un vers eisenia gigote dans sa main.

"Mais il y a le côté positif, presque un attachement" aux vers que l'on nourrit chaque jour, assure-t-il.

Les déchets organiques sont souvent vus comme "repoussants", en particulier en ville, commente le sociologue Baptiste Monsaingeon, du centre Alexandre-Koyré sur l'histoire des sciences.

Ils sont "tout en bas" de l'échelle, poursuit l'auteur de "Homo detritus", qui établit une hiérarchie selon "l'attachement" à ces objets et rebuts qui composent l'ensemble hétéroclite des déchets.

- "Richesse" des poubelles -

En haut de l'échelle, les objets auxquels on tient le plus mais qui n'ont plus de place ou d'utilité et qu'on va préférer donner à un proche. D'autres un peu moins importants vont se retrouver sur les rayons d'Emmaüs. Puis les recyclables destinés au tri sélectif et enfin "la poubelle du tout venant" avec les plus sales.

Une logique initiée avec l'invention de la poubelle "qui permet d'invisibiliser" les détritus, et développée tout au long du XXe avec le "basculement" vers la société du "tout jetable", explique Baptiste Montsaingeon.

Mais cette évolution n'est pas inéluctable. On peut "mettre son nez dans sa poubelle au lieu de passer son temps à fermer le couvercle", suggère-t-il, au moment où le gouvernement tente de développer l'économie circulaire, notamment le recyclage.

Alors comment inciter les Français à regarder leurs déchets en face ? "Il faut changer les mentalités et montrer aux gens que nos poubelles regorgent de richesses", plaide Patricia Lavocat, fondatrice de Rue Rangoli.

Cette entreprise qui fait partie de l'incubateur de start-ups d'HEC vend des objets issus de l'"upcycling design", qui transforme des matériaux usagés en produits à valeur ajoutée : sacoches d'ordinateurs en pneus, papier en bouse d'éléphant, meubles issus de déchets du BTP...

"On est en retard dans le upcycling en France (...) parce qu'on a accès à tout, on jette et on rachète", estime la cheffe d'entreprise, malgré tout persuadée qu'il est possible de créer des "filières pérennes" du upcycling, grâce à la "pédagogie".

"Le déchet n'est plus un déchet dès lors qu'il a un futur", renchérit Henri Jeantet, fondateur du cabinet de conseil Unknows.

S'appuyant sur une étude sociologique qui classe les comportements individuels face au tri ("convaincus", "récalcitrants", "intermittents"), il tente d'inciter collectivités locales et entreprises du secteur à se pencher sur les motivations personnelles qui se cachent derrière le recyclage.

Il faut "sortir des rationalités économiques pour comprendre les vraies raisons pour lesquelles les gens font ce qu'ils font", plaide-t-il.

Mais même en connaissant leurs ressorts profonds, changer les comportements est un défi.

"Les déchets, on ne veut pas les voir, donc à moins d'avoir une passion et passer outre ce dégoût, ce +ah c'est sale+ qu'on a depuis l'enfance, ce n'est pas évident", résume Mounia El Kotni.

Poster un commentaire
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.
Déjà membre ? Je me connecte.
Je ne suis pas encore membre, Je crée mon compte.