Manque d'eau et hausse du thermomètre: pour faire face au dérèglement climatique, une forêt de moyenne montagne sert de "laboratoire" pour construire "la forêt de demain" dans le massif des Vosges.
Dans un bois rocailleux et en pente à 600 mètres d'altitude dans la vallée de Munster (Haut-Rhin), un employé de la coopérative "Forêt d'ici" vient tout juste de semer ses dernières graines entre les hêtres, sapins et épicéas, des espèces actuellement omniprésentes dans la forêt vosgienne mais qui résistent mal au changement climatique.
Claude Michel, du Parc régional des ballons des Vosges, l'observe attentivement. "On a proposé au propriétaire de la forêt d'en faire un site laboratoire", dit-il, tout en palpant un sapin défraîchi.
Cette petite parcelle privée de 6,5 hectares sert de cobaye pour acclimater des espèces plus résistantes au réchauffement et au manque d'eau.
"Le changement climatique est une grande interrogation pour l'avenir de nos forêts. Je me suis dit: pourquoi ne pas monter une opération pour tenter d'anticiper ses conséquences?", résume le propriétaire des lieux, Bernard Naegel, qui a racheté le bois très abîmé en 2018 à des fins d'exploitation.
La parcelle est découpée en plusieurs parties pour laisser place à l'expérimentation, qui s'appuie d'abord sur la régénération naturelle, grâce aux arbres adultes déjà présents.
"Les semenciers vont produire des graines qui vont se disperser dans la parcelle", explique Claude Michel. Les espèces locales déjà existantes vont se renouveler, se développer, voire s'adapter.
- "Inconfort climatique" -
De petits enclos en bois, pour protéger les plantations du gibier, se détachent du paysage. A l'intérieur, des espèces nouvelles, plus méditerranéennes, sont plantées. Châtaigniers, érables, ou encore pins laricios de Corse, plus adaptées, grandiront entre les espèces locales.
"On enrichit pour créer une forêt mosaïque. Les arbres se protègent entre eux et la diversité des espèces freine la propagation de maladies", résume Claude Michel.
Une quinzaine d'espèces cohabiteront. Le projet a aussi recours à des zones en libre développement pour favoriser la biodiversité.
Le changement climatique frappe durablement les 17 millions d'hectares de la forêt française, alors que selon Météo-France, l'Hexagone doit se préparer à vivre en 2100 avec une température supérieure de 4°C à l'ère pré-industrielle.
"Nous estimons que seule la moitié des forêts françaises pourra résister au choc d'un scénario à +4°C d'ici 2100. L'autre partie risque d'être en inconfort climatique et dépérir", alerte Albert Maillet, directeur forêts à l'Office national des forêts (ONF).
Plus de la moitié des forêts de montagne françaises évaluées par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont menacées par le changement climatique, selon une étude publiée en janvier.
- Ravagés par le scolyte -
Dans le Grand Est, les épicéas sont ravagés par le scolyte, un parasite dont la prolifération est favorisée par le dérèglement climatique. "Il y a une augmentation importante des récoltes d'arbres morts", observe Hubert Schmuck, expert à l'ONF dans le Grand Est.
De nombreuses initiatives pour adapter les forêts publiques sont mises en place par l'ONF. Mais dans le cas des forêts privées, qui recouvrent 75% du territoire métropolitain, la gestion est laissée au bon vouloir des propriétaires.
L'idée derrière le projet vosgien est justement de "créer une dynamique pour pousser les propriétaires privés à adapter leur forêt", explique M. Michel.
Le coût total du projet est estimé à 665.000 euros. Il est financé à hauteur de 30.000 euros par le producteur local d'eau minérale Wattwiller, et de 20.000 euros par la Collectivité européenne d'Alsace (CEA, fusion des conseils départements du Bas-Rhin et du Haut Rhin). Le reste étant à la charge du propriétaire.