En Ile-de-France, contre les polluants éternels de l'eau des rivières, les membranes passent à l'action

Un bourdonnement continu fait vibrer des centaines de bonbonnes de métal: chaque jour, dans l'usine d'eau potable de Méry-sur-Oise en Ile-de-France, 140 millions de litres d'eau de l'Oise sont filtrés par des membranes et débarrassés de leurs polluants éternels pour devenir l'eau du robinet.

Adrien Richet doit hausser la voix pour se faire entendre. "On est au coeur du système: les membranes de nano-filtration", explique cet ingénieur du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif).

Bonbonne découpée à l'appui, l'ingénieur explique le fonctionnement des membranes: des "pompes haute pression, à 6 bars", un niveau nécessaire "pour que l'eau traverse la membrane", précise-t-il.

La membrane est constituée d'un épais rouleau de dentelles de polymère trouées de pores microscopiques, enroulées autour d'un tube où atterrit l'eau purifiée au passage.

L'eau qui n'a pas pu arriver à bon port, encore polluée, subit le même traitement dans une deuxième, voire une troisième bonbonne: à l'arrivée, il sort de l'usine 85% d'eau pure bonne pour le robinet, le perméat, et 15% d'eau concentrée en polluants, appelée concentrat.

Auparavant, elle avait franchi de nombreuses étapes: pompée dans l'Oise, elle "passe d'abord à travers des grilles pour enlever les gros déchets (branches d'arbres, etc.)", explique Adrien Richet, penché au-dessus d'un bassin.

L'eau y est additionnée de produits qui aident la décantation de matières organiques: humus, bactéries... "On voit une eau déjà limpide", souligne-t-il.

Elle subit ensuite une "filtration bi-couche" (sable et anthracite), avant de passer dans des cuves en inox pour une "micro-filtration", qui permet d'ôter "95% des particules supérieures à un micron" et préserver ainsi les membranes de nano-filtration.

"Il y a vingt-cinq ans, le Sedif a décidé d'installer ces membranes pour traiter des substances qu'on n'arrivait pas à traiter avec des filières conventionnelles", explique M. Richet.

L'ennemi à l'époque: l'atrazine, herbicide redoutable pour la santé, interdit depuis une vingtaine d'années en Europe.

La cible, aujourd'hui est plus large: les substances per- et polyfluoroalkylées ou PFAS (prononcées "pifasses", à l'anglaise) s'accumulent avec le temps dans l'air, le sol, les rivières, la nourriture et jusqu'au corps humain, leur valant l'appellation de polluants éternels.

D'où le recours à cette technologie, utilisée à l'origine pour dessaler l'eau de mer dans les pays du Sud.

- Des polluants persistants -

Le Sedif, qui gère avec Veolia l'eau bue par 4 millions de personnes, a prévu d'installer des membranes encore plus performantes en 2026 à Méry, mais aussi de convertir ses plus grosses usines de Choisy-le-Roi et Neuilly-sur-Marne aux membranes, d'ici 2031-2032.

Une solution hybride, composée de membranes de nanofiltration et de membranes encore plus efficaces, dites "d'osmose inverse basse pression", doit permettre de filtrer la quasi-totalité des PFAS et de proposer une eau sans calcaire, une première mondiale à cette échelle, selon le Sedif.

Une initiative sans lien, toutefois, avec le projet de loi discuté jeudi à l'Assemblée qui vise à interdire la fabrication et la vente de certains produits contenant des PFAS en France et à contrôler leur présence dans l'eau potable.

Le projet du Sedif a des détracteurs, dont Dan Lert, président du syndicat Eau de Paris, qui craint "un impact environnemental majeur".

"D'une part parce qu'il va y avoir une augmentation des consommations d'énergie très importante, (...) et ensuite on va avoir le reversement des déchets issus du traitement directement dans le milieu", les fameux concentrats.

Plus largement, il dénonce un "sur-traitement" de l'eau, au détriment de la prévention, rappelant qu'Eau de Paris et l'agence de l'eau dépenseront 50 millions d'euros sur dix ans pour aider les agriculteurs d'Ile-de-France à réduire pesticides et nitrates.

Le Sedif évalue à 3 ou 4 euros mensuels le surcoût pour ses clients de l'investissement industriel de près d'un milliard d'euros et son exploitation. Il fait valoir l'économie en achat d'eau minérale et sur l'entretien des appareils ménagers, compte tenu de l'absence de calcaire.

Reste le sujet du rejet des concentrats. "Eau de Paris nous parle d'études d'impact, mais on a mieux que des études, on a la réalité ici depuis 25 ans" avec l'installation des membranes à l'usine de Méry-sur-Oise, "et il n'y a pas d'impact", répond le Sedif.

"Il y a des questions à se poser", estime pourtant Julie Mendret, maîtresse de conférence à l'université de Montpellier.

La chercheuse en traitement des eaux souligne l'importance de "trouver des procédés qui vont dégrader ces molécules, plutôt qu'uniquement les retenir et les concentrer". Or, ces questions constituent pour l'instant des "verrous scientifiques".

Elle rappelle la persistance des polluants dans l'eau, comme la présence de dérivés chimiques de l'atrazine vingt ans après son interdiction.

"Il faut tout miser sur le préventif et, en attendant d'établir un bon état de nos cours d'eau, on est obligé d'en passer par le curatif", conclut-elle.

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