En Haute-Garonne, le marché des "irréductibles" néo-ruraux

Hippies et babas cool se retrouvent chaque dimanche au marché de Montbrun-Bocage, village de Haute-Garonne réputé pour son ambiance alternative, influencé par l'esprit soixante-huitard des premiers arrivés et désormais par les aspirations libertaires de citadins plus récemment installés.

"Des néo-ruraux, c'est ce qu'on est! On n'est pas toujours bien accueilli, mais on refait vivre la région", affirme Jessica Jordan, devant son étal de fruits déshydratés.

Le retour à la nature, à nouveau en vogue avec la pandémie de Covid, amène des urbains à délaisser les villes pour la campagne, faisant de la néo-ruralité un des thèmes de la campagne présidentielle.

A Montbrun-Bocage, le dimanche, la place commence à s'animer doucement vers 10h00. Fromages de chèvre, sève de bouleau et livres dédiés à l'ésotérisme peuplent les stands entre lesquels slaloment les enfants.

Poncho sur les épaules, Mathieu Koenig joue du "hammered dulcimer", sorte de cithare. "C'est un marché avec une certaine éthique, souligne ce trentenaire qui est aussi apprenti luthier. Je le compare au village des irréductibles Gaulois, car pas mal de gens refusent le port du masque."

Les visages couverts sont effectivement rares parmi les visiteurs qui savourent l'ambiance et les odeurs alléchantes des produits à la vente.

- Une "bulle" loin des villes -

Christian Seneclauze, maire depuis 2008 de ce village de 580 habitants, se souvient des débuts de la pandémie, lorsque les gendarmes venaient s'assurer du respect des gestes barrière.

"Quand ils arrivaient, quelqu'un donnait un coup de sifflet et tout le monde mettait son masque", sourit l'édile.

"On est dans une bulle, ça fait du bien aux gens qui viennent de la ville", se réjouit Jessica Jordan.

Les premiers "néo-ruraux" sont arrivés dans les années 1970, motivés par les idéaux révolutionnaires de Mai 68. D'autres ont suivi, façonnant la réputation "hippie" de Montbrun-Bocage, ses 15 nationalités et son marché.

"Les gens viennent ici comme quand on part en vacances au Maroc visiter la médina, les bazars", estime Christian Seneclauze.

"Un bus de Japonais était même venu il y a une vingtaine d'années", s'amuse Alexander Bugel, un Allemand d'origine implanté depuis 18 ans.

Ce conseiller municipal s'inquiète toutefois d'un "risque de gentrification". "Peut-être que les gens viennent pour consommer cet esprit, plutôt que pour le faire vivre", déplore-t-il entre deux rayons de l'épicerie solidaire.

- "Une ruralité subie" -

Née il y a 75 ans à Montbrun, Nicole Bacou a vu défiler toutes les vagues d'arrivants.

"Dans les années 1970, c'était une ruralité choisie. Maintenant, c'est plus une ruralité subie, on se dit que la vie va être plus facile à Montbrun", juge cette ancienne institutrice.

"Toutes les semaines, on me demande si quelque chose se vend sur la commune", complète le maire, conscient du potentiel du lieu, mais aussi des inconvénients de sa célébrité.

"Il faut s'accrocher, ne pas s'attendre à trouver directement" à se loger en arrivant, confirme Carole, installée là depuis cinq ans en raison de la présence d'une école alternative dans le village de Campagne-sur-Arize, à dix kilomètres.

Quatre familles ont emménagé l'an dernier. Toutes ont inscrit leurs enfants dans cet établissement privé, basé sur la pédagogie Steiner, un courant philosophico-ésotérique controversé.

"Les gens attirés par Montbrun ont des idées très précises, ils se méfient de l'éducation nationale", explique le maire, précisant que 20 enfants montbrunais sont scolarisés là-bas, tandis que les effectifs de l'école publique s'amenuisent.

Alexander Bugel va plus loin, affirmant que "les théories complotistes sont très fortes sur le marché".

Une vision trop caricaturale pour Jessica Jordan: "Il y a un noyau alternatif, voire utopiste, plutôt que vraiment complotiste."

Sur ces terres contestataires, José Bové avait recueilli 40% des suffrages aux élections européennes de 2009.

"Ici, les écolos finissent souvent en tête, devant Mélenchon et les socialistes (...) Être maire d'une commune où 50% des gens votent RN, ça me ferait de la peine", ajoute Christian Seneclauze.

Au pied du château en ruines, des militantes de la France Insoumise, mouvement de Jean-Luc Mélenchon, distribuent leurs tracts.

"Les gens sont convaincus ici", se réjouit Virginie Pascal, 54 ans. Avant d'ajouter: "Mais il y a beaucoup de gens qui ne votent pas, il y a des anarchistes".

Poster un commentaire
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.
Déjà membre ? Je me connecte.
Je ne suis pas encore membre, Je crée mon compte.