"Décrépitude" des partis écolos, mais aussi élites insuffisamment formées, repli sur soi... En dépit de l'urgence à agir, les handicaps se cumulent pour l'écologie qui perd du terrain, constate Géraud Guibert, président du think tank la Fabrique écologique, après la démission de Nicolas Hulot.
Q: Comment expliquez-vous l'échec de Nicolas Hulot?
R: "Ça aurait pu marcher s'il avait eu une relation plus forte de conviction, de fond, avec le Président. Je pensais qu'Emmanuel Macron, arrivant au pouvoir, adoptant un excellent positionnement sur les négociations climatiques (après le retrait des Etats-Unis), aurait proposé une ligne directrice. Ça n'a pas été le cas.
Ensuite Nicolas Hulot était un homme seul. L'absence de structuration de l'écologie est un handicap énorme, avec la décrépitude progressive ces 10 dernières années de l'ensemble de la sphère de l'écologie en politique.
Regardez aussi la façon de travailler de certaines ONG. Par rapport au Grenelle de l'environnement (fin 2007), la plupart se sont affaiblies, et à part peut-être France Nature Environnement, elles ont finalement assez peu de relais de terrain. C'est plus difficile que pendant le Grenelle: le rapport de forces s'est affaibli".
Q: Pourquoi ce recul, alors même que la dégradation environnementale est plus manifeste?
R: "C'est paradoxal, car le sujet est de plus en plus important, on en parle plus. Mais il y a une fracture sociologique et territoriale de plus en plus forte sur l'écologie. Cette question est vue comme lointaine et vient parfois aussi en confrontation avec une logique identitaire de plus en plus forte.
Dans le champ politique, un parti comme LR, qui a pu être assez écolo dans la première période Sarkozy, dérive de plus en plus sur l'anti-écologie.
Il y a aussi la spécificité du comportement et de la formation des élites françaises, qui pour une large part n'ont pas compris (l'enjeu écologique). Ou si elles ont compris c'est purement abstrait et international: ça ne s'incarne pas dans les réalités, dans ce que ça signifie en termes de modèles, de nécessité de prendre de l'avance sur ces sujets, de le considérer sous tous les angles y compris social, économique.
Enfin les écolos historiques, qui disent que l'écologie c'est du global ou du local, portent une responsabilité. Car le cadre national -- la fiscalité, la réglementation -- a une importance majeure".
Q: Comment l'écologie peut-elle remonter la pente? Cela passe-t-il par un changement de modèle économique?
R: "Il peut y avoir un petit électrochoc sur quelques décisions car (le gouvernement) voudra montrer qu'on peut faire aussi bien, voire mieux, sans Hulot. Mais je ne crois pas à un électrochoc durable.
Je ne crois pas qu'une +rupture+ entre l'économie de marché et l'économie publique soit indispensable, mais plutôt le développement de l'économie circulaire, de la proximité... Cela suppose des régulations, une autre organisation de l'économie.
Je pense aussi qu'il faut analyser la fracture sociologique. La grande difficulté depuis 20 ans est qu'il y a des tas d'initiatives concrètes, locales, de start-ups... mais ça n'est pas la moitié de la population. Il faudrait plus de solutions concrètes pour des populations qui aujourd'hui n'y ont pas accès. Par exemple pour les gens en précarité énergétique et manquant de moyens pour isoler leur logement, ou pour les ménages en zones périurbaines, qui doivent prendre leur voiture tous les jours et ont peu de solutions alternatives ou pour acheter une voiture propre.
Des choses avancent, mais pas assez vite. Je crains que le déclic vienne le jour où un grave problème se produira qu'on pourra mettre en lien direct avec le changement climatique."