En Artois, de la guerre au climat, les tribulations de la pomme de terre

Rattes, amandines ou marabel sortent de terre sur le plateau de l'Artois, comme toujours en septembre. Pourtant, du travail du sol à la gestion du "stress climatique", tout est "différent" raconte Luc Chatelain, héritier d'une lignée de planteurs de pommes de terre.

Près de 40 ans qu'il s'inquiète pour ses pommes de terre. "C'est une plante qui n'aime pas les excès, d'eau, de température."

Après l'année "catastrophique" de 2022, où la sécheresse a rabougri les tubercules, il respire. La récolte s'annonce cette année "dans la moyenne", les 140 hectares de l'exploitation familiale devraient donner environ 6.000 tonnes.

L'agriculteur sait que le coup de semonce de 2022 pourrait devenir la norme. Il a engagé il y a des années "la transition" de son domaine, avec la volonté de laisser une terre fertile à son fils et son neveu.

"On n'a pas le choix", dit-il simplement, mais "le changement prend du temps".

Avant que la France ne devienne le premier exportateur mondial de pommes de terre, elle a dû se reconstruire, rappelle-t-il.

Pendant la guerre de 1914-18, la région est mitée de tranchées; le village de Fontaine-lès-Croisilles, en plein sur la ligne Hindenburg, première ligne de fortification allemande, est détruit.

"Ici, c'était le no man's land. Ma grand-mère nous disait toujours: +quand on est rentré en 1919, on a retrouvé un rosier en fleur, seul témoin de l'emplacement de la ferme+."

La vie de son grand-père est consacrée à la remise en culture de champs labourés par les obus. L'époque de son père, dans les années 50, "c'est le développement de l'agriculture intensive, pour produire du blé et de la pomme de terre. Il faut nourrir la France".

"On ne se posait pas de question: labour systématique, implantation de la culture de printemps, récolte en septembre-octobre, puis repos hivernal."

Aujourd'hui, "on limite au maximum le labour, mais un sol vivant, c'est aussi un sol inégal, avec le risque d'avoir des pommes de terre ne correspondant pas au cahier des charges" qui les veut "lisses et sans pustules".

Alors il "équilibre", entre "variétés qui supportent" moins de labours et d'autres, plus délicates. Il cultive une dizaine de variétés, des "chair ferme" comme les amandines et francelines, idéales à la vapeur ou poêlées, des "polyvalentes" comme les marabel ou jelly, et pour "l'industrie", des markies, qui donneront frites et chips.

- "Diminuer notre impact" -

Si la priorité est de "produire", il garde en tête la nécessité de préserver ses sols.

"Il y a dix ans, j'ai planté des haies, quatre kilomètres en tout. On a vu revenir des chevreuils, des oiseaux. C'est bon pour la biodiversité, mais aussi contre l'érosion", dit-il.

Dans un paysage ponctué d'éoliennes, il désigne une parcelle de moutarde et de phacélie, auxquelles succèdera une plantation de pommes de terre.

"Aujourd'hui, on met systématiquement dans nos rotations une culture intermédiaire, qu'on ne récolte pas et qui retourne au sol", l'enrichissant en azote, principal composant des fertilisants, explique-t-il, estimant avoir "réduit d'un tiers" ses apports d'engrais en 15 ans.

La pomme de terre est l'une des cultures les plus fréquemment traitées aux pesticides. Lui essaie de ne traiter ses plants au fongicide - essentiellement contre le mildiou - "qu'à la demande", quand le champignon "menace la survie de la plante", aidé d'une batterie de capteurs et stations météo.

"Avec le changement climatique, on voit de nouveaux agresseurs, comme les doryphores", ces coléoptères venus d'Amérique. L'eau, qui était là en abondance, jusqu'à donner le nom de Fontaine au village, devra "être partagée". "Il faut qu'on s'adapte", résume Luc Chatelain.

C'était mieux avant? "C'était différent", estime l'agriculteur de 62 ans. Il a vu son père trimer du matin au soir, ne cultivant qu'une variété de pomme de terre, la bintje, qui trouvait un débouché naturel dans la France affamée d'après-guerre.

Aujourd'hui, le travail est moins physique mais "on a des contraintes réglementaires pour tout, qui changent tout le temps". Et il y a le "stress climatique".

"On va encore s'améliorer en choisissant des variétés plus résistantes aux agresseurs. Peut-être que demain, mon fils ne fera plus de +chair ferme+, qui a besoin d'eau".

Cette année, il teste une nouvelle variété à peau rosée, la royata. "On va voir ce que ça donne". Mais, nuance-t-il, pour la pomme de terre, "le mouton à cinq pattes n'existe pas".

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