Connaissez-vous la Britannique Ada Lovelace? L'Américaine Grace Hopper? La première imagine en 1843 le tout premier programme informatique, la seconde crée le langage COBOL en 1959. Mais 60 ans plus tard, les femmes ne représentent que 27% des salariés de l'informatique et du numérique, et 16% seulement des fonctions techniques.
Un déséquilibre dramatique, alors que le secteur du numérique est le plus dynamique en terme d'emplois et de salaires, ont pointé les participant(es) à la journée "Ensemble contre le sexisme" jeudi à Paris.
Comment expliquer que les femmes soient moins nombreuses aujourd'hui dans le numérique qu'elles l'étaient dans l'informatique il y a trente ans?
L'image très masculine du secteur, avec la figure emblématique du "geek", la puissance des stéréotypes de genre, le sexisme virulent sur les réseaux sociaux sont autant de facteurs qui peuvent dissuader les jeune filles de s'orienter vers le numérique.
Selon une étude menée en collège auprès des 12-15 ans, une fille sur 5 avait subi une insulte en ligne pour son apparence physique.
Une opération pilote de sensibilisation des collégiennes et lycéennes aux métiers du numérique est menée depuis quatre ans dans les Hauts-de-France, à Lille puis Amiens, à l'initiative d'entreprises comme IBM, de l'Académie de Lille, d'associations comme Femmes ingénieures. Un déploiement national est à l'étude.
Malgré leurs excellents résultats au bac (5 points de réussite de plus que les garçons) y compris au bac scientifique, les filles optent massivement pour les humanités et ne sont que 25% des étudiants en sciences et 27% en écoles d'ingénieurs, dont seulement 13% dans celles spécialisées en numérique.
Parmi les pistes avancées pour favoriser la mixité dans les écoles du numérique, la mise en place de locaux "où les jeunes filles peuvent se retrouver", à contrario de la vogue des espaces unisexe avec force poufs et matelas où les geeks peuvent passer leurs nuits.
"Quelle jeune fille a envie de passer sa nuit sur des écrans avec des matelas et des douches garçons et filles au même endroit?" interroge Corinne Hirsch, formatrice en entreprise sur l'égalité femmes/hommes.
Le site de l'école 42 présidée par Xavier Niel est éclairant: on y parle de recrutement (la "piscine") sous la forme d'une immersion dans l'école d'un mois "même le week-end" et "à la manière des commandos de Marines".
- pizza à toute heure -
"Dans un milieu qui ne compte que 10 à 15% de filles, il y a une forte injonction à adopter les codes masculins: pizzas à toute heure, codage 24h/24, jeux vidéos etc., c'est très pesant, et beaucoup de femmes quittent le secteur", dit-elle.
Selon l'étude Gender Scan menée en partenariat avec l'Unesco et des associations internationales, le taux "d'attrition" (les femmes qui quittent une entreprise) atteint 40% dans les métiers technologiques et informatiques et 56% dans le numérique.
"On voyait que des femmes à fort potentiel partaient parce qu'elles étaient un peu seules, on a créé une formation spécifique pour elles et on a abaissé le turn over", raconte Catherine Ladousse, directrice chez Lenovo (géant de l'informatique chinois) et co-fondatrice du cercle InterElles, réseau d'entreprises pour la mixité.
"Dans une entreprise avec 80% d'hommes et 20% de femmes, même si ces 80% sont parfaits, totalement exempts de comportements sexistes, les femmes auront du mal à grimper", constate-t-elle.
La sous-représentation des femmes risque de coûter cher en terme d'innovation et de performance.
"La désaffection des femmes n'est pas une fatalité", souligne Catherine Ladousse, qui note que la Chine forme beaucoup de femmes au numérique. Le laboratoire d'intelligence artificielle de Lenovo est dirigé par une Chinoise.
Parmi les pistes pour améliorer la mixité, les intervenant(es) ont évoqué le recensement et la diffusion des "bonnes pratiques" des entreprises, comme les formations contre le sexisme et les actions pour concilier vie professionnelle et personnelle.