"Un choc terrible": la balance commerciale alimentaire française pourrait se solder en 2025 par un déficit, ce qui serait une première en France depuis près de 50 ans, alertent mardi les représentants des filières agricoles, qui cherchent des voies de relance.
Premier poste d'exportation de la France (14% du total), les produits agricoles et alimentaires voient leur excédent se réduire depuis plusieurs années, une détérioration qui s'est accentuée en 2025.
Avec cinq mois en déficit sur neuf, selon les Douanes, ce fleuron national redoute aujourd'hui un bilan annuel négatif.
"De septembre 2024 à septembre 2025, en glissant, la balance agroalimentaire française a été déficitaire de 158 millions d'euros, ce qui veut dire qu'on est dans une perspective d'avoir en 2025 une balance négative, pour la première fois depuis 1978", a déploré le président de la Coopération agricole Dominique Chargé devant ces "assises de l'export" organisées par le Centre national pour la promotion des produits agricoles et alimentaires (CNPA).
"Nous rétrogradons très sérieusement sur notre capacité d'exportation. La part de la France à l'export dans le monde baisse, mais surtout nos importations augmentent et ça traduit bien la faiblesse de notre appareil de production", a-t-il analysé.
Pour bien des filières, l'export est devenu indispensable. Ainsi l'élevage porcin qui vend, notamment en Chine, des morceaux (oreilles, groin...) sans clients en France; les céréales, qui partent à 50% à l'étranger ou encore les vins, qui y écoulent un tiers de leurs volumes (pour la moitié de leurs revenus).
L'an dernier, les produits agricoles et alimentaires avaient rapporté plus de 82 milliards d'euros à la France, devant l'aéronautique, les véhicules et équipements et la chimie. Son excédent 2024 était le 3e sectoriel du pays.
Au-delà des grandes filières, cela peut être un moyen de réduire les charges pour tous les produits, nourrir l'innovation et aussi faire vivre des régions, ont insisté les participants à ces premières "assises de l'export".
En Bretagne, le marché américain est important pour les gavottes, tout comme l'Algérie pour les plants de pommes de terre, a expliqué un élu de la Région.
- "Géostratégique" -
Or de 2015 à 2024, les exportations nationales ont baissé de 20% en volume pour les produits agricoles et de 7% pour les produits agroalimentaires.
Dérèglement climatique, conflits commerciaux ou géopolitiques... les obstacles, hier conjoncturels, sont devenus "structurels", a souligné Yannick Fialip, éleveur en Haute-Loire et président du CNPA, qui a aussi relevé un sujet de compétitivité, appelant les acteurs à être "un peu plus conquérants", à "travailler en groupe" et à développer "la marque France".
Alors que l'Espagne a devancé la France en 2023 pour les exportations vers l'UE, un conseiller agriculture de l'ambassade espagnole est venu expliquer la stratégie affirmée de son pays depuis les années 2000: vastes campagnes ("Eat Spain"), cibles nouvelles (Maroc, Suisse, Mexique...), etc.
Pour Thierry Pouch, économiste pour Chambres d'agriculture France, cette "concurrence progressive dans l'UE, on ne s'en est pas forcément bien rendu compte au début", qu'elle vienne d'Espagne, des Pays-Bas, mais aussi de Pologne, ou même d'Allemagne.
Aujourd'hui, "c'est un choc assez terrible de voir que notre commerce extérieur s'effiloche de mois en mois," a admis l'expert qui appelle à des "logiques partenariales" et à "un travail de très long terme", à l'heure où la question alimentaire est redevenue "géostratégique".
Exprimant le sentiment de ne pas être aidées comme les autres secteurs, les filières agri/agro ont demandé mardi le soutien de l'État, qu'il s'agisse de leur assurer des conditions de compétition loyale ou même de ne pas les oublier lors de voyages diplomatiques.
Directrice des programmes export de Business France, Laurence de Touchet a évoqué des freins à l'export, notamment pour les PME, d'ordre financier, réglementaire ou de capacité organisationnelle.
L'agence publique soutient des déplacements dans des salons étrangers ou fait venir des acheteurs sur les salons français.
"Mais on a de moins en moins de moyens pour les subventionner, alors que les tarifs sur les salons ont énormément augmenté depuis le Covid", a-t-elle dit, soulignant aussi que Business France avait perdu 20% de subventions cette année.