Sénat et gouvernement se sont accordés mardi pour faire adopter deux dispositifs "complémentaires" sur l'accès aux soins, le premier pour encadrer l'installation des médecins, le second pour organiser leur "solidarité" envers les déserts médicaux, mesure phare du "pacte" proposé par François Bayrou.
Incitation, régulation, coercition, ou liberté d'installation ? De longues heures de débats à la chambre haute ont confronté les visions sur un dossier au coeur de l'actualité: la désertification médicale.
Quelques jours seulement après la présentation par le Premier ministre d'un plan pour renforcer l'accès aux praticiens, ses propositions prennent déjà corps au Parlement, dans une proposition de loi du sénateur Les Républicains Philippe Mouiller.
Ce texte a été adopté très largement dans son ensemble dans la soirée malgré de nombreuses abstentions à gauche, avant sa transmission à l'Assemblée nationale.
La principale mesure gouvernementale, accueillie plutôt fraîchement par les médecins, vise à instaurer une "mission de solidarité territoriale obligatoire", à savoir imposer à tous les médecins exerçant en zone bien pourvue de se "projeter" dans les zones prioritaires, jusqu'à deux jours par mois.
La philosophie du gouvernement ? "Demander peu à un grand nombre de médecins, plutôt que demander beaucoup à peu de médecins", a résumé le ministre de la Santé Yannick Neuder.
Ce dispositif, proposé par le gouvernement par voie d'amendement, a été adopté par le Sénat.
Mais de nombreux élus ont fustigé le flou entourant sa mise en oeuvre: pénalités financières, périmètre des zones sous-denses, remplacements dans les cabinets... Les modalités doivent être clarifiées par décret.
Cette "mission d'urgence" doit s'articuler avec un mécanisme d'origine sénatoriale qui visera lui l'installation des médecins et qui, lui aussi, sera précisé par décret. L'idée du Sénat est de conditionner l'installation des généralistes en zone bien pourvue à leur exercice en parallèle, à temps partiel, dans une zone en déficit de soignants, via un cabinet secondaire par exemple.
- Textes concurrents -
Pour les spécialistes, l'installation dans un territoire bien pourvu serait conditionnée à un départ dans la même spécialité, avec une dérogation si le spécialiste s'engage à exercer en plus, à temps partiel, dans une zone touchée par des difficultés d'accès aux soins.
A noter que dans ce cas de figure, le médecin récemment installé ne sera pas contraint, en plus, de participer à la "mission de solidarité" proposée par l'exécutif.
"L'encadrement équilibré des installations responsabilisera les médecins et réduira les inégalités d'accès aux soins", a défendu la sénatrice Corinne Imbert (LR), rapporteure sur ce texte.
Ces dispositifs, fruits d'un accord entre Sénat et gouvernement, viennent concurrencer un texte bien plus coercitif adopté à l'Assemblée nationale à l'initiative du socialiste Guillaume Garot, malgré l'opposition gouvernementale.
Une partie de la gauche et certains élus centristes au Sénat ont donc tenté d'introduire des mesures similaires au texte de M. Garot, plus contraignantes, mais toutes ont été rejetées.
Le socialiste Jean-Luc Fichet a dénoncé un "contrefeu" à la proposition des députés, "opportunément sorti du chapeau" mais "sans souci d'efficacité".
A l'opposé, d'autres voix ont estimé que le texte allait trop loin dans la régulation des praticiens, au lieu de s'attaquer à la pénurie de médecins. "La régulation ne peut se faire que lorsqu'on peut répartir !" s'est agacée la centriste Elisabeth Doineau, qualifiant les mesures de "mirage".
Les sénateurs ont également avalisé d'autres mesures pour gagner du "temps médical", comme la suppression de certains certificats médicaux peu utiles. Egalement actées, des dispositions visant les médecins diplômés hors de l'UE (Padhue), qui seront orientés "prioritairement" vers les zones privées de médecins et verront le concours préalable à leur accès à un plein exercice remplacé par un "examen".