Des initiatives pour changer le regard des médias sur les quartiers

Un annuaire pour trouver les interlocuteurs pertinents, une "agence d'information des quartiers", une structure pour se former et partager des expériences: des initiatives pour faire évoluer le regard des médias sur les quartiers populaires ont été présentées jeudi aux Assises du journalisme à Tours.

"Notre objectif final, c'est d'essayer de changer le regard sur les quartiers et de participer à un nouveau récit de la société française", a expliqué Erwan Ruty, qui a fondé ou participé depuis 20 ans à des médias comme "Pote à pote", "Respect Magazine", ou l'agence "Ressources Urbaines", et qui dirige depuis deux ans le MediaLab 93.

Cet "incubateur populaire des jeunes créatifs urbains" implanté à Pantin tient à la fois de "pépinière, lieu de résidence et de co-working pour des porteurs de projets individuels, et de lieu accueillant des événements", détaille-t-il.

On peut ainsi y suivre des formations, partager des expériences et se tenir au courant des dernières tendances en matière de cultures urbaines, une manière de faire rayonner la vie des quartiers.

- Diversifier les sources -

Autre projet, la création d'un annuaire d'interlocuteurs pertinents, qui vivent eux-mêmes dans les quartiers populaires, et sont disposés à répondre aux médias. Histoire d'aider les journalistes - qui, par manque de temps, par routine ou par facilité, peuvent privilégier souvent les mêmes porte-parole et experts -, à diversifier leurs sources.

Lors de l'élaboration du plan Borloo, il avait été reproché aux médias - et notamment aux chaînes d'infos - d'avoir "une représentation des quartiers qui n'était pas équilibrée", et d'interroger "des interlocuteurs qui n'étaient pas forcément jugés représentatifs", rappelle Maxime Daridan, journaliste et responsable diversité à BFMTV, qui travaille sur ce projet depuis un an.

"Ce n'est pas seulement un sujet de cohésion sociale, mais de réconciliation nationale", a estimé Driss Ettazaoui, vice-président de l'association Ville et Banlieue, membre de ce projet.

"Les pouvoirs publics investissent beaucoup d'argent dans ces territoires", notamment via les programmes de rénovation urbaine, "mais tant qu'on n'aura pas changé le regard des médias, ce sera à fonds perdus", juge-t-il.

Car les clichés négatifs à propos des quartiers prioritaires, parfois traités de "territoires perdus de la République" dans les médias, font non seulement souffrir leurs habitants, mais découragent aussi les investisseurs de s'y installer, renforçant leurs difficultés économiques et sociales.

- Convaincre les rédactions -

Guillaume Villemot, communicant et cofondateur du mouvement citoyen Bleu Blanc Zèbre, s'est quant à lui plongé dans la création d'une "agence d'info des quartiers", qui sera implantée d'ici la fin de l'année dans 15 territoires (les premiers bureaux doivent ouvrir à partir de mai à Roubaix, Grigny en région parisienne et Fort-de-France).

Elle aura deux rôles : "une mission de formation des jeunes des quartiers aux métiers de l'information", au rythme de 250 par an (un peu à l'image du Bondy Blog, pionnier en la matière), et "faire de l'information et vendre un fil d'info aux médias et aux entreprises" sur la vie des quartiers, pour mettre en avant les multiples activités économiques, sociales, culturelles qui s'y déroulent.

Comme le reconnaissent les porteurs de ces initiatives, le plus compliqué sera de convaincre les rédactions des médias nationaux et régionaux de se saisir de ces outils ou de s'en inspirer.

"Le public s'intéresse d'abord à ce qui fait mal, ce qui est trash... Une voiture qui crame aura toujours plus d'audience, auprès de tout le monde, qu'un sociologue qui explique pourquoi elle a été incendiée", estime Erwan Ruty.

"Il faut passer du sensationnel à l'essentiel", mais "ça ne va pas se faire demain, ça va se faire lentement et il y aura des échecs", abonde Guillaume Villemot.