Des graines, des bras et du temps: ce qui manque à la forêt face à l'incendie climatique

"Planter un milliard d'arbres" en dix ans: l'objectif du président français pour préserver la forêt se heurte à la rapidité du changement climatique mais aussi aux ressources disponibles, des semences forestières à la main d'oeuvre nécessaire à ce vaste chantier.

En fixant en octobre l'objectif de renouvellement de "10% de notre forêt", Emmanuel Macron prenait acte de la gravité du péril climatique tout en affichant sa volonté de préserver les ambitions françaises de décarbonation.

C'est-à-dire en utilisant plus de bois dans la construction: car la forêt stocke du carbone dans ses arbres vivants, sur pied (60%), mais aussi dans ses bois coupés (40%), utilisés dans l'industrie, l'ameublement et la construction.

Certains chercheurs, comme Jean-François Dhôte à l'Inrae, estiment d'ailleurs que le bois coupé va devenir de plus en plus important pour stocker le carbone, car les forêts absorbent de moins en moins de CO2 elles-mêmes.

Ce pari d'une double ambition, climatique et économique, est-il tenable?

Gouvernement, forestiers et chercheurs sont d'accord sur une chose: il faut accélérer l'adaptation au changement climatique. Pour l'Office national des forêts, qui gère 25% de la forêt française, "l'enjeu majeur est de réussir le renouvellement forestier".

- Les graines -

Mais pour planter des arbres, il faut des graines. C'est le premier obstacle à l'ambitieux plan français, qui suppose de passer de 60 millions d'arbres plantés annuellement à 100 millions.

"C'est théoriquement possible", pour Joël Conche, expert national grains et plants pour l'ONF, qui rappelle que "dans les années 1992-93, on produisait en France plus de 110 millions de plants par an".

Mais il relève plusieurs "bémols", à commencer par la nécessité d'"installer de nouveaux vergers à graines" qui mettront dix ans avant de produire.

"On récolte ce que la nature nous donne. Il y a forcément des aléas de production, en cas de gel, manque de pluie ou fortes chaleurs", renchérit Richard Hebras, directeur des semences d'arbres chez Vilmorin-Mikado, entreprise qui fournit avec l'ONF la totalité des arbres plantés en France.

Pour pouvoir récolter plus de graines, il faudrait augmenter le nombre de parcelles dites de "forêt remarquable" sélectionnées pour leurs qualités, relève-t-il.

Autre difficulté, le stockage des graines: "Les glands de chêne ne se conservent pas au-delà de deux hivers. On peut gérer des stocks beaucoup plus facilement avec les résineux, dont les semences se conservent 15 à 20 ans", explique Joël Conche.

Disposer des plants nécessaires au bon moment nécessite un gros effort de planification, souligne l'expert.

Mais il faut aussi tirer les leçons de l'échec récent du renouvellement, financé par le plan de relance et engagé "alors qu'il y avait peu de choses en pépinière", dit-il.

Selon le ministère de l'Agriculture, le taux de perte (des plantations) a atteint 38%. Un taux monté jusqu'à 50% dans certaines parcelles du Sud après un été 2022 très sec, alors que l'on considère une plantation "normale quand le taux de réussite atteint 80%", selon Joël Conche.

- Mieux planifier -

La deuxième grande question est le manque à venir de main d'oeuvre. "Il faut donner plus de visibilité aux reboiseurs, qui ne vont pas embaucher et investir sans visibilité", souligne-t-il.

Planifier, c'est aussi poser la question des essences: lesquelles résisteront au climat de demain? Concernant le mélèze, qui fournit un bois léger et résistant très demandé en construction, la France a des difficultés d'approvisionnement. Or "les pays de l'Est, importants fournisseurs, sont aussi touchés par le changement climatique et n'en ont plus de grandes quantités", relève Joël Conche.

Mais la filière de la transformation n'est "pas assez organisée" pour scier des diamètres et densités de bois différentes, regrette Jean-Louis Camici, président du Commerce du bois (LCB), qui représente les importateurs et industriels de la deuxième transformation.

"On a plus de 1.000 scieries en France, mais les 10 plus grosses produisent autant que toutes les autres. Et très peu de scieurs sont équipés en séchoirs", dit-il, relevant qu'aujourd'hui, "75% des bois d'ingénierie consommés en France viennent d'Allemagne, d'Autriche et des pays scandinaves".

- "Laisser leur chance aux arbres" -

Les industriels du bois voudraient planter plus de résineux et une "plus grande prise de risques" dans les tests de plantation, quand l'ONF prône "anticipation et prudence", estimant que "la productivité des forêts ne peut que baisser".

A l'ONF, "on estime que la moitié de la forêt continuera de se renouveler sans intervention majeure. Il faut laisser leur chance aux arbres: là où les épicéas ont été épargnés par les scolytes, on essaie de les maintenir. On fait la même chose dans les zones de sécheresse, pour favoriser les gènes de résistance", explique Joël Conche.

"Aujourd'hui, on a encore la possibilité de vouloir conduire de front la valorisation de la forêt et le maintien d'un état boisé. Mais si le changement climatique prend de l'ampleur", prévient l'expert, "on se posera comme seule question de maintenir un espace boisé".