"Des moments privilégiés" pour oublier un temps "les cauchemars" et aider à se reconstruire: une association propose des croisières en voilier gratuites aux militaires blessés et à leurs proches.
Sur un ponton du Vieux-Port de La Rochelle vendredi dernier, Sébastien s'apprête à prendre le large avec Béatrice, son épouse.
"Le blessé n'est plus l'homme qu'il était. Il y a les cauchemars, les flashbacks, mais aussi les crises de colère. Ce n'est pas évident pour le couple et ça devient difficile de partager de bons moments en famille", confie-t-il à l'AFP.
Ce militaire toulousain souffre d'un stress post-traumatique (SPT), stigmate d'opérations extérieures (Opex) au Tchad en 2002 et au Liban en 2007-2008. Survenu "d'un seul coup", en 2019.
"Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait. J'ai passé trois semaines dans mon lit, incapable de sortir de ma chambre. Après de nombreuses hospitalisations, aujourd'hui je réapprends à vivre", poursuit-il.
Toujours en arrêt maladie, il entame actuellement une reconversion.
Cette navigation gratuite au large de La Rochelle était organisée par les membres de l'association La Voile pour se reconstruire, dont le siège se trouve à Bastia (Corse).
Une centaine de bénévoles oeuvre depuis 2014 à "accompagner les familles de blessés et veuves de guerre sur le chemin de la reconstruction physique, psychique et professionnelle".
- Beaucoup de divorces -
Chaque année, une centaine de bénéficiaires navigue à bord de voiliers - prêtés gracieusement par des marins solidaires - pour des sorties thérapeutiques dans l'océan Atlantique ou en Méditerranée.
"Nous accueillons en grande majorité des militaires souffrant de SPT. C'est essentiel que les proches puissent participer. C'est très dur aussi pour les familles. Les épouses, elles +morflent+. C'est très fréquent qu'elles finissent par partir, il y a beaucoup de divorces", relève Sébastien André, correspondant de l'association à La Rochelle.
Les enfants et les amis peuvent aussi bénéficier de ce bol d'air. La vie de Jérôme est ainsi faite de "hauts et de très bas" depuis novembre 2004, alors qu'il était en Opex à Bouaké (Côte d'Ivoire). "On s'est fait bombarder de roquettes par deux avions", raconte-t-il.
Le SPT l'a frappé six mois après ce bombardement qui avait tué neuf soldats français.
- Plus de blessures psychiques que physiques -
Ce Normand a passé une semaine en Méditerranée en juin avec son fils de 13 ans. "C'étaient des moments privilégiés, que je n'oublierai jamais", témoigne-t-il. À La Rochelle, il a invité son ami d'enfance, son "oreille de toujours, qui n'a jamais eu de jugement".
Le traumatisme psychique, officiellement reconnue en 1992 dans les armées françaises, devance aujourd'hui la blessure physique dans les chiffres du Service de santé des armées (SSA).
En 2023, le SSA a recensé 79 "troubles psychiques en relation avec un événement traumatisant déclarés pour la première fois". La même année, huit militaires ont été blessés en OPEX par armes à feu ou engins explosifs.
Dans la zone Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, "80% des militaires que nous accueillons souffrent de SPT, tandis que 20 % sont des blessés physiques", précise le commandant Karen, chef de la Cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre (CABAT) de Bordeaux.
"Le SPT peut se déclarer des années après, nous en avons encore actuellement qui font suite à des OPEX au Rwanda", il y a une trentaine d'années.