Des chercheurs alertent sur les risques de la "vie miroir"

Faut-il redouter la création en laboratoire de redoutables bactéries "miroir" qui échapperaient au système immunitaire du vivant, humains et plantes? Face à menace potentiellement majeure, des spécialistes ont mis en garde jeudi contre des recherches incontrôlées visant à répliquer des molécules par leur image inversée.

L'alerte a été donnée en décembre dans un article de la revue Science, intitulé "Confronter les risques de la vie miroir ".

Ses auteurs y faisaient état de leur "profonde préoccupation" face au risque de développement de bactéries miroir qui agiraient comme des "espèces invasives", susceptibles de causer des "infections létales" dans les espèces végétales et animales "incluant l'humain".

De quoi parle-t-on? La "vie miroir consiste en des formes de vie composées entièrement d'une image en miroir de molécules biologiques", a décrit jeudi Filippa Lentzos, professeure au King's College de Londres, dans son introduction à la conférence accueillie sur le sujet à l'Institut Pasteur à Paris.

Organisée en coopération avec le Mirror Biology Dialogues Fund, c'est la première d'une série de réunions mondiales prévues tout au long des années 2025 et 2026 pour explorer les moyens d'atténuer les risques potentiels de la recherche dans ce domaine.

Comme l'a expliqué Filippa Lentzos, les progrès des biotechnologies permettent aujourd'hui de synthétiser des molécules biologiques "miroir", comme des protéines ou des acides aminés, - les briques du vivant -, avec des "applications scientifiques et potentiellement thérapeutiques".

Mais "la véritable préoccupation est qu'une bactérie miroir ou une vie miroir puisse échapper au système immunitaire et autres défenses biologiques que nous avons développées".

- A la merci d'une "erreur" -

Comme les mains, certaines molécules, dites chirales, peuvent avoir des versions "droite" ou "gauche", selon la façon dont elles reflètent la lumière. Avec des propriétés physiques identiques mais des propriétés biologiques très différentes, a expliqué le professeur de biologie John Glass, de l'Institut californien J. Craig Venter.

Or, toutes les biomolécules naturellement existantes dans le vivant utilisent une seule version. Elle est par exemple gauche chez les protéines et droite dans l'ADN.

La différence "peut avoir de grandes conséquences, comme avec la thalidomide ", a rappelé le Pr. Glass. Ce médicament était efficace quand fabriqué dans sa forme gauche et toxique dans la droite.

"Il est théoriquement possible d'imaginer une forme entière de vie composée de molécules de chiralité opposée", a-t-il poursuivi. Si des "biomolécules miroir pourraient être des outils efficaces pour produire des molécules thérapeutiques", le risque de produire des bactéries miroir "d'ici 10 à 30 ans" est une réalité, s'il n'y a pas de garde-fou.

Un "organisme si incroyablement dangereux pourrait avoir des conséquences sérieuses pour toutes les formes de vie supérieure sur Terre", selon lui.

Quant à l'idée de pouvoir contenir une telle découverte dans un laboratoire, ce serait un "mythe", à la merci d'une "erreur humaine" ou d'une "mauvaise utilisation délibérée".

"Une fois créée, une bactérie miroir serait difficile à contenir de façon robuste, voire impossible à contenir", a dit le Pr. Glass. Qui a partagé l'opinion des auteurs de Science sur la nécessité de mécanismes de gouvernance afin d'interdire la création de vie miroir, tout en préservant la recherche scientifique sur des molécules miroir à visée thérapeutique, comme les protéines et acides aminés.