Le débat sur les matières et déchets radioactifs a mis en lumière la "défiance" du public, notent lundi les organisateurs qui appellent l'Etat à mieux prendre en compte la parole des citoyens sur ce dossier pour ne pas accroître la "frustration collective".
"Défiance", "scepticisme", "à quoi bon débattre quand tout est déjà décidé"... Les conclusions de ce débat public de cinq mois publiées lundi mettent en lumière les réserves d'une partie des citoyens envers un secteur habitué de la culture du "secret-défense".
Cette "défiance s'est cristallisée au fur et à mesure des années et des débats publics avec le sentiment qu'on ne répondait jamais à leurs interrogations et à ce qu'ils disaient", a déclaré à l'AFP Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public qui chapeautait ce processus boycotté par plusieurs ONG antinucléaires pour cette raison.
Capacité d'entreposage des combustibles usés, statut de certaines matières, phase industrielle du projet d'enfouissement Cigéo... Les discussions avaient vocation à se pencher prioritairement sur les questions opérationnelles du 5e Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) en cours d'élaboration.
Mais sur un sujet très conflictuel, miroir des clivages autour du nucléaire dans un pays qui possède le deuxième parc de réacteurs au monde, les questions de société et d'éthique sont arrivées tout en haut des préoccupations des Français.
Le débat a fait ressortir des attentes du public "très fortes" sur "tous les aspects qui concernent directement la vie quotidienne", selon le rapport de la commission particulière qui a organisé le processus.
"Je pense notamment aux questions relatives aux impacts sanitaires et environnementaux, aux transports", a précisé à l'AFP sa présidente Isabelle Harel-Dutirou, qui souligne que la "gouvernance" est aussi apparue comme un "fil conducteur du débat".
Pour tenter de réconcilier population et décideurs sur cette question stratégique, la commission appelle l'Etat et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui ont jusqu'au 25 février pour répondre, à fournir des "réponses argumentées" et à mettre en place un dispositif "pérenne" d'association du public aux décisions, "sauf à prendre le risque d'accroître la frustration collective".
- Renoncer à Cigéo ? -
"Trahir cette confiance (de ceux qui ont participé au débat, ndlr) conduira inévitablement à discréditer les institutions, la participation, et donc à alimenter le discours de la défiance et de la violence", a insisté Chantal Jouanno dans sa synthèse écrite.
Nombre d'ONG environnementales voudraient en priorité que la France arrête de produire de nouvelles matières et déchets, en sortant du nucléaire. Mais cette hypothèse n'est pas à l'ordre du jour dans un futur proche. Le gouvernement a reporté de 2025 à 2035 l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique.
Alors l'attention des ONG après ce débat se portera surtout sur la réponse du gouvernement sur le projet Cigéo, qui prévoit à terme d'enfouir les déchets les plus radioactifs à 500 mètres sous terre à Bure (Meuse).
Le choix de l'enfouissement a été acté dans la loi en 2006. Mais il faut y "renoncer" et "privilégier d'autres options, comme le stockage à sec en sub-surface", plaide Greenpeace, qui a choisi de participer au débat.
Le rapport, qui note que ce dossier "cristallise toujours de vives divergences", suggère d'associer "au plus tôt les citoyens au processus décisionnel" dans la phase opérationnelle de Cigéo, notamment sur les questions de sûreté et de réversibilité.
Les déchets de haute activité (HA), qui peuvent être radioactifs jusqu'à des centaines de milliers d'années et doivent rejoindre Cigéo, représentent 0,2% du total des déchets radioactifs, soit l'équivalent du volume d'une piscine olympique, mais 94,9% du niveau de radioactivité.
Cette question illustre d'ailleurs une des questions éthiques du débat: nos obligations vis-à-vis des générations futures. Mais là non plus, tout le monde n'est pas d'accord sur ce qui serait le mieux pour elles.
Soit les décharger en prenant "dès maintenant la responsabilité" des choix, soit "préserver" leurs capacités de choix avec des solutions temporaires, en attendant d'éventuelles avancées technologiques, note le rapport.