Dans une usine de cosmétiques de luxe, de jeunes autistes apprennent l'autonomie

Casque sur les oreilles, Killian inspecte des flacons de cosmétiques. Il les saisit dix par dix mais d'un coup d'oeil détecte immédiatement le moindre défaut. Dans l'usine Guerlain près de Chartres, des autistes avec déficience intellectuelle travaillent au milieu des autres salariés.

Un dispositif qui pourrait être développé partout en France dans le cadre de la nouvelle stratégie pour les troubles du neurodéveloppement (2023-2027) annoncée mardi: favoriser l'inclusion par le travail en entreprise ordinaire de ces adultes porteurs de handicaps cognitifs sévères, qui autrement vivraient chez leurs parents ou en établissements médico-sociaux.

Réputés inemployables, même dans le secteur protégé, ils sont cinq jeunes d'une vingtaine d'années à avoir rejoint les 370 salariés de la Ruche, usine de cosmétiques de Guerlain (groupe LVMH) en Eure-et-Loir, dans un dispositif lancé en mars 2021.

Emile, 22 ans, contrôle le poids des mascaras, les inspecte scrupuleusement avant de les ranger dans un carton. Quand il est plein, ce jeune qui ne s'exprime que par onomatopée pousse un cri de joie: "OK!".

La répétition des gestes à la chaîne rassure ces jeunes désorientés par le changement. "Ils sont hyper scrupuleux or, le luxe a besoin de minutie. Ils ne font pas d'erreur, n'aiment pas le désordre et le travail mal fait", explique le DRH Opérations de Guerlain Guillaume de Labarthe.

Ils travaillent en autonomie de la même façon que les autres salariés, mais sont accompagnés par une équipe médico-sociale.

Les éducatrices les ont aidés avec des supports visuels qui détaillent la succession des tâches. "Dès qu'ils n'en ont plus besoin, on enlève ces supports pour favoriser leur autonomie", explique Marie-Luce Profeti-Hamel, directrice du pôle insertion de Pep28.

L'entreprise leur dédie une salle pour une pause d'une demi-heure, où ils s'adonnent au calme à leurs activités favorites: mandalas, puzzles...

13h30: ils arrivent au restaurant d'entreprise. Ils reçoivent la même rémunération et avantages que les autres salariés mais travaillent à mi-temps, touchant en complément l'Allocation adulte handicapé.

-"Il a tellement progressé"-

Commence ensuite une après-midi où ils développent avec les éducatrices leur autonomie du quotidien: faire les courses, la cuisine, le ménage, planifier le jour et la semaine. Mavryck, 25 ans, apprend à compter jusqu'à 60 pour pouvoir lire l'heure.

Car bientôt ils auront chacun leur propre studio, dans un immeuble proche d'une supérette et de transports en commun. Un appartement sera réservé à des activités avec l'équipe médico-sociale.

"La plupart n'a pas été à l'école au-delà de la maternelle, ne sait pas lire ni compter. Pourtant, ils ont des compétences et ont droit à une vie ordinaire: un emploi, un logement, une citoyenneté, des loisirs", explique Agathe Debard chargée de mission de l'association Vivre et Travailler Autrement (Veta) à l'initiative du projet.

L'association a été créée par l'ancien directeur général d'Andros Jean-François Dufresne, qui ne voulait pas voir son fils autiste passer sa vie en institution médico-sociale: il a initié le premier dispositif en 2014 dans une usine du groupe agro-alimentaire en Eure-et-Loir.

Des modèles similaires existent dans des usines L'Oréal d'Orléans, Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis) et près de Compiègne (Oise). Des projets sont en cours aux usines Parfum Christian Dior de Chartres et près d'Orléans.

"Au début, j'avais un peu peur car je ne connaissais pas le handicap. Mais ils ne nous apportent que du positif: de la sérénité, de la joie de vivre. C'est très gratifiant pour nous", explique Valérie Nicot, qui supervise une chaîne de production de Guerlain.

"Quand ils sont arrivés, ils ne serraient pas la main et communiquaient peu. Maintenant ils font des checks, ils demandent des nouvelles d'un salarié absent", explique-t-elle.

Pour le dirigeant de l'usine Guerlain, Patrice Bros, ce projet d'entreprise "donne du sens" et "soude les équipes".

Ce jour-là, il vient signer le CDI d'Antoine, 24 ans, qui battant des mains exprime sa joie.

"Il a tellement progressé" commente sa mère Christine Franco-Rogelio, les larmes aux yeux. "Il végétait dans l'institut médico éducatif où il a vécu dix ans. Il était peu autonome. Là, il choisit ses vêtements, il fait sa toilette, par mimétisme son vocabulaire s'est étendu".

"S'il n'était pas dans ce dispositif, il serait chez moi. Je me disais +que va-t-il devenir quand je vieillirai?+ Je suis soulagée et fière de lui", confie-t-elle.

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