Dans une usine de chaux, une start-up à l'assaut des émissions de CO2

Dans le paysage lunaire, uniformément blanc, d'une usine de chaux du nord de la France, une start-up teste sa technologie de capture et de stockage du CO2, dans un marché encore balbutiant mais tiré par l'objectif européen de neutralité carbone en 2050.

A Haut-Lieu (Nord), l'usine de chaux de Bocahut, filiale d'Eiffage, domine une carrière de calcaire profonde de 100 mètres, la plus grande du groupe. Tout est d'un blanc aveuglant, du sol aux ordinateurs du poste de pilotage du projet de captage de carbone, couverts d'une pellicule de chaux.

Trois cent tonnes de chaux y sont produites quotidiennement, par calcination du calcaire à plus de 1.000°C. Aussi cette usine, comme les 16 autres de ce type existant en France, émet énormément de gaz à effet de serre: en moyenne, une tonne de CO2 est émise par tonne de chaux produite.

Un environnement idéal pour le premier pilote industriel de la start-up lyonnaise Revcoo, qui aspire les fumées dans la cheminée de l'usine, avant de les sécher, les compresser, puis de les envoyer dans une tour de 11 mètres de haut, où un spray réfrigérant d'azote liquide est pulvérisé.

Le CO2 se transforme alors en glace carbonique qui descend dans la tour, tandis que les autres gaz s'échappent. Le CO2 est ensuite liquéfié et stocké dans une cuve, prêt à être - à terme - utilisé par un industriel ou transféré dans un site de séquestration.

Fondée en 2019, Revcco affiche l'objectif de capter un million de tonnes de CO2 par an en 2030.

- Une technologie 100% électrique -

"On est 100% électrique, pas besoin d'eau ou de solvants chimiques", souligne son fondateur, Hugo Lucas, 33 ans. Une différence notable avec l'absorption chimique du CO2 par les amines, la technologie la plus répandue, utilisée depuis plusieurs décennies.

"Le mix énergétique français (étant) très bas en carbone", grâce au nucléaire, une tonne de CO2 capturée par Revcoo n'en émet que 40 kg, assure l'ingénieur.

Si cette unité expérimentale ne capte aujourd'hui que deux tonnes de CO2 par jour, soit moins d'un centième des émissions de l'usine, l'objectif est de passer à 20 tonnes en 2027 puis, à terme, de capter 95% du CO2 émis.

Revcoo pourra ainsi offrir une solution, fait valoir Hugo Lucas, aux industries dont une grande part des émissions sont jugées incompressibles, comme la production de chaux et de ciment.

Brevetée, cette technologie baptisée "CarbonCloud" pourrait également s'adapter aux verreries, chaudières biomasse, incinérateurs de déchets...

Ces industriels achètent aujourd'hui des droits à polluer sur le marché européen des quotas d'émissions, "donc aujourd'hui l'industriel a urgence pour sa rentabilité à décarboner son industrie", souligne M. Lucas.

Face au réchauffement climatique, l'Union européenne ambitionne d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

Le captage et stockage du carbone est cité par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) parmi les solutions pour réduire l'empreinte d'industries difficiles à décarboner.

- Stockage géologique -

Revcoo souhaite s'orienter à la fois vers la séquestration et l'utilisation du CO2.

Côté séquestration, des perspectives s'ouvrent: la France et la Norvège viennent de signer un accord sur le transport transfrontalier de CO2 à des fins de stockage géologique permanent. Oslo a lancé un projet de séquestration de dioxyde de carbone sous des fonds marins.

Côté utilisation, Revcoo mise sur l'usage du CO2 dans l'industrie alimentaire, l'industrie pharmaceutique ou encore la fabrication de carburants synthétiques.

L'installation de Revcoo à Haut-Lieu fait partie du plan de réduction des émissions de CO2 d'Eiffage, passant aussi par la transition du gaz naturel au biogaz pour ses fours à chaux.

"La décarbonation, on doit tous y arriver, c'est le quoi qu'il en coûte", résume Julien Rosini, directeur des établissements Bocahut.

Selon Joseph Dellatte de l'Institut Montaigne, l'avenir de ces technologies dépendra de la trajectoire choisie en Europe pour la réduction des quotas d'émissions, alors que la tendance est au "détricotage des normes environnementales".

En attendant, les projets abondent. Dans le Pas-de-Calais voisin par exemple, l'usine de chaux du groupe belge Lhoist compte capter en 2028 600.000 tonnes de CO2 par an grâce à une autre technologie, également basée sur la cryogénie, portée par Air Liquide.

Pour Hugo Lucas, la quantité de CO2 à capturer pour atteindre la neutralité se comptant en gigatonnes, "il y a de la place pour tout le monde".

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