Pactole, bijoux, château... Quand certains héritages comblent, d'autres plombent. Les terres de Sermaise, en Essonne, polluées par une ancienne activité industrielle et partiellement détenues aujourd'hui par un de ses habitants, appartiennent indubitablement à cette dernière catégorie.
"C'était mon lieu de promenade d'enfant et je le voyais pollué par mon oncle", se souvient ce propriétaire, François-Gilles Le Theule, ingénieur et haut fonctionnaire retourné vivre en 2018 dans ce village niché à une quarantaine de kilomètres au sud de Paris.
A quelques centaines de mètres du moulin où il habite, sur un site d'environ quatre hectares, 2.150 fûts contenant des hydrocarbures et autres composés chimiques sont enfouis. Des déchets issus de l'usine de solvants de l'oncle de M. Le Theule, Paul Gerber, active des années 1950 jusqu'aux années 1990.
Or ces composés organiques volatils peuvent, selon les autorités, présenter "un risque sanitaire en cas d'inhalation ou ingestion".
Sur la portion de terrain dont le haut-fonctionnaire a hérité, les vestiges de l'usine sont encore visibles: ici une machine rouillée dans un bâtiment en ruines, là une dalle de béton.
Des décennies durant, l'entreprise a stocké ses déchets industriels dans des fûts enterrés ou les a parfois directement déversés dans des fosses.
En 1993, lorsqu'elle est placée en liquidation judiciaire, elle laisse derrière elle 8.250 fûts. Après une dépollution partielle, 1.800 tonnes de déchets pollués restent enfouies aujourd'hui, entre deux et cinq mètres sous terre.
L'endroit est depuis classé comme "site à responsable défaillant", expliquent les services de l'Etat - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, préfecture et ministère de la Transition écologique. L'ancien exploitant ne pouvant financièrement assurer les travaux de dépollution après sa liquidation, il fait l'objet d'une commission de suivi de site (CSS).
- Odeurs -
Les services étatiques assurent la surveillance des eaux souterraines et disent avoir étudié entre 2002 et 2013 les voies de transfert des polluants vers les humains.
"Les résultats des surveillances (dans les eaux) montrent que le panache de pollution est stable et circonscrit" et "le site Gerber ne pose plus de risques pour les tiers", selon eux.
De nouvelles pistes pourraient néanmoins s'ouvrir jeudi, date à laquelle se tiendra la CSS annuelle. L'Ademe pourrait y présenter les conclusions d'une étude pour définir la stratégie de gestion du site à moyen et long termes.
Dès 1984, le captage d'alimentation en eau potable de Sermaise a été fermé pour cause de pollution. Aujourd'hui, Sermaise est raccordée à la ville voisine de Boissy-le-Sec.
En 2007, un arrêté toujours en vigueur a interdit l'usage de l'eau souterraine sur une zone limitée, l'accès au site et le remaniement des sols.
L'Etat a tenté de dépolluer le terrain pour plus de 14 millions d'euros à ce jour.
Mais le collectif Orbia, créé en 2022 et dont François-Gilles Le Theule fait partie, pointe les limites de l'opération.
Pendant la crue d'octobre dernier, "des odeurs sont ressorties", témoigne Pascale Augiat, coordinatrice du collectif.
Près du moulin de M. Le Theule, elle invite à sentir la tête d'un piézomètre (instrument servant à mesurer le niveau d'une nappe phréatique): une odeur nauséabonde d'hydrocarbure s'en dégage.
- Renaturation -
Face à cette situation, le collectif porte un projet de renaturation: il ambitionne de "remettre le cours de l'Orge (la rivière qui coule localement, NDLR) dans son ancien lit tout en maintenant suffisamment d'eau pour continuer à donner vie au moulin", détaille Pascale Augiat.
Mais la proximité du site pollué ralentit ce projet: il faudrait qu'une collectivité fasse évaluer les risques mais "cela ne fait absolument pas partie des priorités" de la municipalité, déplore la militante.
A ce stade, le projet d'Orbia ne s'inscrit en effet "dans aucun projet de la commune à court ou moyen terme", confirme Magali Hautefeuille, maire (SE) du village, qui a dénoncé une "campagne médiatique" visant à dénigrer Sermaise en présentant la commune comme le "village le plus pollué de France", titre-choc d'une Une du Parisien de mai 1991 repris par un récent documentaire.
Sur le sujet, l'édile "est complètement muette, pas du tout combative, comme si elle voulait cacher les erreurs de son beau-père" qui fut maire de la commune entre 2001 et 2014, déplore Nadine, habitante à proximité immédiate du site, parlant sous couvert d'anonymat.
A quelques mois des municipales, le sujet s'invite dans les discussions. Si aucune liste candidate ne porte ce projet, le collectif "pense" à en créer une, confie Pascale Augiat.
Au-delà de la renaturation, les riverains aimeraient rouvrir le sujet de la dépollution, rêvant à terme, en lieu et place de ce site en déshérence, d'un parc qui permettrait de flâner sur les bords de l'Orge.