Dans les services saturés du 115, la détresse des sans-abri, le désarroi des répondants

"Ils nous disent +j'ai froid, aidez-moi+. Mais on n'a pas de réponse à leur apporter!": plus que jamais débordés en ce début d'hiver, les responsables du 115, la ligne téléphonique dédiée aux sans-abris, alertent sur le manque "désespérant" de places d'hébergement d'urgence.

"La situation s'est énormément dégradée. Depuis la crise sanitaire, nous travaillions beaucoup avec des hôtels qui étaient désertés par les touristes, mais petit à petit ils reviennent à leur activité normale et les chambres ne sont plus allouées aux personnes à la rue", explique Vanessa Benoit, la directrice générale du Samu social de Paris.

Dans Paris intra muros, chaque jour, 700 à 900 personnes (contre 400 à 500 en début d'année) doivent dormir dehors bien qu'elles aient appelé le 115 pour demander une mise à l'abri. Et seules 50 à 60 demandes sont pourvues chaque soir (contre une centaine il y a quelques mois), selon Mme Benoit.

Ces données ne disent rien de tous ceux qui n'appellent pas: selon une étude réalisée en juin par l'association Interlogement93, qui opère la ligne téléphonique en Seine-Saint-Denis, plus de 70% des personnes à la rue "n'appellent plus le 115, parce que le temps d'attente est trop long ou parce qu'elles savent, par expérience, que leurs chances d'avoir un toit pour la nuit sont minimes" - c'est le cas notamment des personnes seules.

Dans ce département, "les gens qui appellent patientent plus de deux heures avant qu'on décroche", se désole Julie Ritter, la responsable adjointe du service. "Mais ce n'est pas pour autant qu'on leur trouvera une place".

Parmi ceux qui tentent leur chance, "beaucoup nous appellent tôt le matin. Quand on finit par décrocher, après une très longue attente, certains se sont rendormis. Alors on crie +Allô!+ un peu fort, pour les réveiller", raconte Mme Ritter, dont les équipes se relaient 24 heures sur 24 et sept jours sur sept à Montreuil.

- "On fait notre maximum" -

"Bonjour Madame, on nous a dit de quitter l'hôtel ce matin. Vous avez une chambre pour ce soir? On a froid", résume la voix d'Issouf (prénom modifié), qui appelle régulièrement depuis avril, et n'a été orienté vers une chambre que de manière épisodique, pour deux ou trois nuits à chaque fois.

"On fait notre maximum, Monsieur. Restez au chaud dans les gares ou les transports, si vous pouvez. On vous recontacte dès qu'on a du nouveau", glisse la travailleuse sociale.

Issouf et sa femme ayant un bébé d'à peine un mois, ils sont considérés comme un ménage "fragile" dans la base du données du 115, ce qui augmente leurs chances de se voir proposer une chambre.

Malgré tout, "on est obligés de prioriser. Un enfant en bas âge, une femme enceinte, ou bien trente refus d'affilée pour la même famille, ce sont des cas prioritaires. Mais sans garantie de résultat", glisse Julia Ritter.

En fin de journée, le système d'allocation de chambres aux sans-abris - environ 45.000 au total en Ile-de-France - apportera une réponse à toutes les demandes. La plupart seront négatives, et transmises par SMS. Les rares qui obtiendront une chambre en seront avertis par un coup de fil.

"On ne sait plus quel conseil leur donner", soupire Anuta, l'une des écoutantes de la plateforme, qui préfère ne pas donner son nom de famille. "Le dialogue est parfois délirant, comme quand les gens nous parlent à voix basse parce qu'ils se sont mis à l'abri dans un local à vélo, et qu'ils ont peur d'en être délogés".

"C'est violent de devoir dire non" et d'être "confronté à la détresse", pour ces professionnels eux-même mal payés et peu considérés, observe Pascal Brice, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe les associations opérant ce service partout en France.

"C'est un beau métier, mais difficile. Au bout d'une semaine, les nouveaux arrivants s'isolent au bout du couloir pour pleurer".

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