Sur les hauteurs du lac d'Annecy, des épicéas asséchés par l'invasion d'un coléoptère font face à de jeunes pousses de sapins, châtaigniers et hêtres, une forêt du futur, plus résistante au changement climatique surveillée de près par des agents de l'ONF.
"On voit le lac d'ici, c'est joli, mais on voudrait bien que la forêt soit plus dense", lâche François-Xavier Nicot, directeur de l'Office national des Forêts (ONF) Savoie Mont-Blanc, en constatant les effets du réchauffement sur la forêt communale d'Argonay.
Chaleur accablante et sécheresse, événements météorologiques violents, départs de feu fragilisent les arbres partout sur le territoire. En Haute-Savoie, comme dans les départements voisins de l'Ain et de la Savoie, ils subissent aussi une invasion grandissante du scolyte, qui s'attaque aux épicéas largement dominants sur le territoire.
Le petit coléoptère s'en prend aux arbres déjà affaiblis, en s'infiltrant entre l'écorce et le bois pour s'y accoupler. La femelle pond ses oeufs dans des galeries qui coupent la circulation de la sève, causant la mort du conifère.
A Argonay, l'épidémie de scolytes a explosé avec la sécheresse de 2023, forçant à fermer l'accès à la forêt et à faire des coupes - une action parfois mal comprises par les habitants.
Dans la commune propriétaire de 95 hectares de forêt, 2.500 mètres cube de bois ont dû être coupés, sur quatre hectares environ, aussi pour sécuriser la parcelle fragilisée située près d'une route passante.
Sur toute la région d'Auvergne-Rhône-Alpes, le volume de bois dépérissant ou sec, dans la récolte globale, toutes essences d'arbres confondues, est passé de 11% en 2017 à 37% en 2024.
- Coût -
Face à ces menaces, l'ONF, qui aide les communes à gérer les forêts de leur ressort, s'est placé dans "une démarche d'anticipation", souligne Eric Dubois, directeur régional adjoint.
Sur les parcelles d'Argonay, lors du processus de régénération naturelle, les agents privilégient désormais les feuillus, qui ne sont pas touchés par le scolytes endémiques, en assurant qu'ils aient l'espace nécessaire pour pousser.
En "dernier recours", car il n'est "ni techniquement ni financièrement capable de planter partout", relève Eric Dubois, ils replantent pour accélérer le processus.
"Cela a un coût significatif pour les collectivités, pour des forêts sur lesquelles on faisait traditionnellement peu de travaux. Il faut des élus motivés", note Nicolas Karr, directeur de l'ONF Auvergne-Rhône-Alpes.
Avec "déchirement", "on a vu des grandes tâches brunes arriver sur notre forêt", "il a fallu se dire: cette forêt, on ne va pas la laisser mourir", relate Gilles François, le maire d'Argonay, qui a accepté de "mettre en place des actions qui n'étaient pas programmées, donc pas budgétées".
Dans le bois communal, quelques mois après la coupe des épicéas malades, 1.500 plants ont été semés sur les zones dégagées. Des pins Douglas, des chênes, et des mélèzes, conifère emblématique des Alpes du Sud. Le coût: 29.000 euros, auquel il faudra ajouter celui de l'entretien dans les années à venir.
- Bois bleu -
Pour minimiser la facture, les collectivités et l'ONF cherchent à valoriser le bois, en particulier celui des arbres scolytés, qui sous l'effet d'un champignon se trouvant sur la carapace du coléoptère, peut bleuir.
Afin d'éviter cet effet collatéral, l'ONF essaie de faire ses coupes le plus tôt possible, une fois l'infection observée.
Et pour les bois teintés, il faut faire de la pédagogie. "Il n'y a aucun effet tant sur la résistance technologique que sur des conséquences sanitaires", souligne M. Nicot. D'ailleurs, observe-t-il, le siège de l'ONF à Maison-Alfort, inauguré fin 2022, a été construit avec du "bois bleu".
A quelques kilomètres d'Argonay, la scierie Chaumontet, entreprise familiale qui s'approvisionne à "98%" en Haute-Savoie pour l'épicéa, participe à réhabiliter ce bois auprès de ses clients.
"Le changement climatique a un impact sur notre approvisionnement", ne peut que constater le gérant Julien Chaumontet. "La réactivité doit être de plus en plus rapide pour récupérer le bois".
Après les "gros coups de chaleur de fin juin et début juillet", son responsable approvisionnement Cédric Durand s'attend encore "à avoir plus de bois cet été".