Dans le Vercors, opération nettoyage au centre de la Terre

"Un rêve de gosse" mais aussi un hommage à leurs prédécesseurs: des centaines de spéléologues ont plongé en ce début d'août dans les entrailles abyssales du gouffre Berger (Isère) pour remonter les déchets issus des expéditions antérieures.

Boîtes de conserve, vieilles cordes, matelas, fils téléphoniques, restes de carbure de calcium pour l'éclairage ou lunette de toilettes, le gouffre Berger était "franchement sale, on va dire dans la mesure du camp de base de l'Everest", s'amuse Rémy Limagne, à l'origine de cette initiative lancée en 2012 et reconduite chaque été.

Le gouffre "est exploré depuis les années 50 et à l'époque c'étaient des expéditions lourdes où on abandonnait ses déchets, c'était naturel", rappelle-t-il.

A ce jour, environ trois tonnes ont été extraites lors des différentes sessions, le tout à dos d'homme et dans des passages étroits. "Franchement le gouffre est maintenant, en tout cas sur son tracé normal, vraiment propre", se félicite-t-il, espérant inspirer des opérations similaires dans d'autres grottes.

Les spéléologues aiment d'ailleurs à rappeler que l'un des leurs joua un rôle de pionnier en matière d'écologie : le géographe Édouard-Alfred Martel, ayant démontré le rôle de la pollution des eaux d'infiltration dans les épidémies, porta en 1902 une loi interdisant les jets de cadavres d'animaux et de détritus putrescibles dans les grottes, alors d'usage.

- "Everest des profondeurs" -

Si le gouffre Berger, gigantesque cavité lovée au coeur du massif du Vercors près de Grenoble, est aussi fréquenté et donc souillé, c'est en sa qualité de cavité "mythique", connue des spéléologues du monde entier et célèbre pour ses splendeurs souterraines, oeuvre de l'eau: immenses concrétions, puissantes cascades et puits vertigineux.

Découvert en 1953, il fut dès 1956 le théâtre du premier record du monde de descente souterraine, à -1.122 m, un véritable exploit pour l'époque, mobilisant une expédition de type himalayen et d'énormes quantités de matériel, pour ce qui était alors connu comme "l'Everest des profondeurs".

Bien que ce record ait depuis été pratiquement doublé en Géorgie, le Berger conserve son aura particulière, relate Marion Mongour, venue de Dijon pour se mesurer à la légende : "Pour tout spéléo c'est une espèce de rêve de gosse de descendre aussi profond (...) C'est assez magique d'aller jusqu'où on peut", explique-t-elle, encore essoufflée après plusieurs heures sous terre.

Lors de l'opération, ses amis et elle ont "ramassé des petites choses qui traînaient" et remonté un sac plastique plein de vieux câbles, qui finiront à la déchèterie. Pour elle, "contribuer à notre mesure à faire (du Berger) un endroit beau et propre, et qui garde toute sa magie, c'est le moins qu'on puisse faire".

Cela s'apparente même à un tribut aux anciens, "qui ont exploré le gouffre, et grâce auxquels on peut à notre tour en profiter". "Avec l'état d'épuisement qui devait être le leur, ne pas remonter les déchets, je ne souscris pas forcément, mais je peux le concevoir", sourit-elle.

- "Conte de fées" -

Pour faciliter la logistique des équipes de nettoyeurs, Rémy Limagne a conçu le "camp Berger", un modeste pré transformé en camping dans le village voisin d'Autrans-Méaudre, où il accueille chaque été plusieurs centaines de spéléologues de tous horizons.

En participant, ceux-ci bénéficient de l'équipement préparé à l'avance en cordes fixes (soit 1.400 m de cordes plongeant jusqu'au fond du gouffre) et de conseils de bénévoles de la Fédération française de spéléologie afin de prévenir tout accident sur le site, théâtre de plusieurs drames parfois mortels dans le passé.

William Evans et Ben Morgan, deux étudiants britanniques de Bristol, ont réussi à atteindre le fond du Berger à -1.122 m et montrent avec fierté sur un téléphone des images de leur baignade nus dans le siphon final.

"C'est tellement profond, et splendide. On passe près de formations dix fois plus grosses que nous, énormes, c'est comme un conte de fée", s'enthousiasme Ben Morgan. "La plus belle grotte que nous ayons jamais faite. C'est un autre monde", renchérit son compère.