Dans le Sud-Ouest, la forêt sous pression face aux projets industriels

Construction, biocarburants, charbon végétal: plusieurs projets industriels dans le Sud-Ouest reposent sur une même source d'énergie, le bois, et inquiètent associations environnementales et exploitants forestiers concernant l'avenir de cette ressource très prisée.

L'un des plus controversés, baptisé E-Cho et porté par la société lyonnaise Elyse Energy, vise à installer une importante usine de biocarburants dans le bassin de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), ex-plus grand gisement national de gaz naturel qui mise aujourd'hui sur les énergies renouvelables.

Sa dernière version sera présentée lors des "General Aviation Days", consacrés à la "décarbonation de la mobilité aérienne légère", mercredi et jeudi à Pau.

Des militants environnementaux se réuniront jeudi devant le siège de la communauté de communes de Lacq-Orthez pour réaffirmer leur opposition farouche à ces projets qu'ils jugent "dangereux".

"On sait bien que la ressource n'est pas extensible et on doit démontrer notre exploitation durable des forêts", admet Benoît Decourt, responsable du projet E-Cho. Selon l'entreprise, les 300.000 tonnes de biomasse, principalement forestière, nécessaires à l'usine proviendront à 55% de Nouvelle-Aquitaine, à 26% d'Occitanie et à 19% d'Espagne.

Pour Solal Bordenave, membre du collectif Pyrénées Forêts vivantes, "faire tomber E-Cho et son budget de deux milliards d'euros soutenu par l'État, financé par l'Ademe, fragiliserait l'usage de la biomasse forestière comme kérosène".

La préfecture des Pyrénées-Atlantiques prévoit, d'ici à 2030, un quasi-doublement de la demande pour cette ressource dans le département. Les industriels "savent parfaitement" que des conflits d'usages interviendront mais "leur intérêt consiste à faire du +greenwashing+ pour les compagnies aériennes", estime le militant écologiste.

- "Dix ans trop tôt" -

Panneaux pour la construction en Lot-et-Garonne, bioraffinerie produisant du bioéthanol de deuxième génération (Landes), charbon végétal et carburants bas-carbone pour l'aviation (Pyrénées-Atlantiques): ces projets, avec d'autres, représentent un besoin supplémentaire de trois millions de mètres cubes (m3) de bois par an, selon les associations environnementales.

Un volume significatif comparé aux 11,3 millions de m3 prélevés dans les forêts de Nouvelle-Aquitaine en 2025, qui représentent près d'un quart des coupes françaises, selon le dernier inventaire de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

Ces perspectives inquiètent la filière bois, dont le syndicat patronal (Fibna) réclame une "étude d'impact globale" incluant les nouvelles implantations prévues "mais aussi les projets de développement" des industriels déjà présents sur le territoire.

Pour Anne Guivarc'h, directrice du syndicat, les usines en gestation arrivent "dix ans trop tôt" car le massif forestier, notamment dans les Landes, ne parviendra à maturité qu'en 2035. Le bois, "tout le monde en veut", constate-t-elle.

La demande supplémentaire dès 2027 ou 2028 "tapera dans le bois d'oeuvre", prisé pour sa capacité à capturer le carbone. "On aura des rotations de plus en plus courtes, avec des coupes à 20 ou 30 ans, quand on est aujourd'hui entre 30 et 50 ans", pointe cette responsable.

- Hiérarchiser les usages -

Selon un rapport de mission interministérielle remis en 2023, la biomasse forestière représentera 70 millions de tonnes de matière sèche en France métropolitaine à l'horizon 2050.

Cette estimation, "optimiste", pourra "difficilement être dépassée sauf les années exceptionnelles" et elle est "significativement inférieure aux projections actuelles utilisées par les services de l'État", soulignaient les auteurs de ce rapport.

L'un d'eux, Philippe Guignard, ingénieur de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), résume: "Il n'y a pas suffisamment de biomasse pour satisfaire les usages actuels" et "toutes les industries ne vont pas pouvoir l'utiliser, quand bien même on arrivera à doubler son rendement en 2050."

La mission préconisait de hiérarchiser les usages pour éviter des conflits futurs. "On peut imaginer que des projets devront être abandonnés ou réduire leurs ambitions", avance M. Guignard.

Depuis 2022, un schéma copiloté par l'État et la région Nouvelle-Aquitaine encadre l'utilisation de la biomasse pour la production d'énergies renouvelables sur ce vaste territoire allant du Limousin à la frontière espagnole.