Dans le Sud-Ouest, des blockhaus partent à la mer faute de protection

Devant un blockhaus de la Seconde Guerre mondiale, Hervé Dejoux, archéologue amateur, raconte à des touristes l'histoire de la batterie des Arros, l'un des rares vestiges du Mur de l'Atlantique encore épargnés en Gironde par l'érosion du littoral.

Située au Verdon-sur-Mer, tout au nord du Médoc, elle fut prise aux Allemands le 19 avril 1945 et est restée pratiquement intacte depuis, protégée par une digue construite au 19e siècle en contrebas de la dune.

Mais avec le recul du trait de cote, d'autres constructions sont désormais sur la plage, voire dans l'eau, comme à Grayan-et-l'Hôpital, un peu plus au Sud, ou au cap Ferret, au niveau du Bassin d'Arcachon.

M. Dejoux, fondateur et président de l'association Forteresse Gironde Sud, estime que sur 131 ouvrages "lourds" - des blockhaus dont les murs font au moins deux mètres d'épaisseur - situés sur la bande côtière de 30 km qui va de la pointe de la Grave (à l'entrée de l'estuaire de la Gironde) à Montalivet, 37 sont ainsi tombés sur l'estran.

Cet ancien chef de projet informatique organise des visites depuis une dizaine d'années pour faire connaître l'histoire de la batterie des Arros, composée de 20 bunkers et casemates, et milite pour la reconnaissance de ce patrimoine.

"Ça fait partie de notre histoire, d'une histoire douloureuse certes, mais on n'efface pas l'histoire et c'est l'occasion d'apprendre aux plus jeunes ce qui s'est passé", dit-il.

- Valeur historique -

À ce jour, la majorité de ces ouvrages défensifs ne bénéficient pas d'une protection patrimoniale.

En Charente-Maritime, un inventaire mené en 1998 par le bureau d'études spécialisé Estuarium avait permis d'en classer quelques-uns, comme les batteries de Kora-Karola sur l'île de Ré ou Muschel à La Tremblade. Des bunkers jugés "exceptionnels par rapport au reste du Mur de l'Atlantique", relève Christophe Bourel Le Guilloux, conservateur régional des Monuments historiques en Nouvelle-Aquitaine.

Mais "cette étude n'existe pas pour le reste de la région", ajoute-t-il, car "nos prédécesseurs ne s'intéressaient pas forcément à ce type de bâtiments". "On n'a pas de consigne au niveau national pour analyser, comprendre et éventuellement protéger ces ouvrages."

D'autant qu'ils ont été construits en série: faut-il tous les préserver ou seulement "quelques-uns qui sont significatifs" ? "C'est toute la question", souligne le conservateur régional, "car si l'on commence à protéger tous les bunkers, ça va faire beaucoup."

L'inscription aux Monuments historiques permettrait de mobiliser des fonds pour les entretenir et assurer leur transmission aux générations futures.

À défaut, le label "Architecture contemporaine remarquable", attribué en 2015 à la batterie des Arros, peut être envisagé mais il ne garantit aucune protection, tout comme l'inscription dans les documents d'urbanisme des collectivités.

- Manque d'intérêt -

De son côté, Hervé Dejoux déplore que les maires du littoral n'éprouvent pas d'"intérêt particulier pour ce patrimoine" et "ne jouent pas le jeu".

Peut-être, selon lui, parce que la côte girondine n'a pas le même poids historique que les plages de Normandie : "Il y a eu des combats de libération dans notre secteur mais ils n'ont jamais fait l'objet d'un film hollywoodien."

D'autres régions sont plus avancées que la Nouvelle-Aquitaine. La Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Normandie a lancé un inventaire officiel en 2015 et plus de 6.000 vestiges ont été répertoriés. La Bretagne a commencé le sien en 2023.

Reste que "les Allemands n'avaient rien prévu de durable", souligne Jean-Christophe Pellegrin, géographe à l'université Bordeaux-Montaigne, pour qui la montée des eaux aura forcément raison, un jour, des derniers blockhaus - sauf à les déplacer, opération coûteuse qui les dénaturerait aux yeux de certains.

"À l'époque, ils étaient installés en haut des dunes. Pour les construire, ils tassaient le sable et coulaient directement le béton dessus (...) Avec l'érosion, la dune est attaquée, donc les bunkers vont glisser vers l'estran", explique-t-il.

D'autres solutions existent pour préserver cette histoire, comme la numérisation 3D. Cette technique a été utilisée notamment en 2016 pour conserver une trace des blockhaus de Saint-Clément-des-Baleines (Charente-Maritime), détruits pour des raisons de sécurité.