02 mar

Double exposition Nelson Pernisco + Wonder/Liebert

À la vitesse du désir, 2017
©Nelson Pernisco
Galerie Bertrand Grimont, 42-44 rue de Montmorency
Paris, 75003

Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Bertrand Grimont, "Si par parking vous comprenez jardin", Nelson Pernisco crée un espace d’incubation qui ressemble davantage à une décharge à ciel ouvert, avec ses ferrailles et ses débris de matériaux industriels.

Pour sa carte blanche "Papapapapaaa papa paam" au 44 rue de Montmorency, Nelson Pernisco a convié six artistes issus de l'association Le Wonder. Ils ont tous accepté que leurs œuvres soient parasitées par un champignon, mais selon une contamination positive et inclusive. Car si la mort appelle la vie, la décomposition et la destruction reste la promesse d’un cycle à venir.
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Nelson Pernisco - Solo Show
"Si par parking vous comprenez jardin"

Le temps ne fonctionne plus à échelle humaine, seuls les restes de son passage prédateur sur terre dressent une mémoire par défaut. Partout les fossiles de son activité laissent les traces d’un passé dont on ne sait s’il fut glorieux ou ignominieux. Les composants du monde sont désormais un mélange d’entités naturelles et culturelles, matérielles et organiques, dont on a enfin cessé la logique de séparation à coup de dualismes vains. La cohabitation animale, végétale, minérale est totale et chaque règne s’éprouve dans une continuité ontologique. Voilà ce que l’effondrement à venir nous enjoint de nous souvenir et d’anticiper. Penser la fin des temps, c’est sans doute aussi faire l’expérience des temps de la fin.

Pourquoi sommes-nous fascinés par les ruines et la fin du monde ? Pourquoi l’humanité n’a cessé de projeter ses désirs de catastrophes, des tragédies grecques aux dystopies contemporaines ? Le monde n’en finit pas de finir. Les crises n’en finissent plus de se superposer. La catastrophe, de se répéter. L’humanité a accepté la tentation du pire, elle a tant exploité jusqu’à sa déchirure ce qui fait monde, qu’elle a fait des choses des extensions de son propre narcissisme d’espèce. L’heure est sans doute arrivée de prendre la mesure de l’agentivité de toutes entités, d’accepter que nos productions ont agi sur nous et que les qualités dont nous nous prévalons, de la raison au langage, en passant par les civilisations ou l’art, sont le fruit d’une dynamique écoévolutive et de l’action du non-vivant sur le vivant. L’exceptionnalité de l’homme est un mythe d’espèce fondé pour sa survie et son hégémonie.

En reproduisant le cycle d’un écosystème, suspendu dans le temps, Nelson Pernisco fait de nos fictions des laboratoires pour le futur. Aussi, lorsque ce dernier semble condamné, ce n’est pas le destin inéluctable de la vie qui est en jeu, mais bien la fin d’un règne ayant perçu, senti, habité et catégorisé selon la subjectivité – humaine – de son espèce. Ici se met en place une logique adaptative au sein d’un espace d’incubation qui ressemble davantage à une décharge à ciel ouvert, avec ses ferrailles et ses débris de matériaux industriels, qu’à une couveuse lisse et aseptisée. Des rats se sont accommodés à une architecture plus proche de la forteresse que du cocon, tout en reconfigurant le monde extérieur par leurs actions. Des lianes de courges s’enroulent, telle une danse, autour d’un kiosque de jardin, qui pourrait tout aussi bien rappeler les formes minimales et fonctionnelles du Bauhaus. Un moteur devient une fontaine d’acide s’érodant lentement jusqu’à se convertir en pierre, comme les dépouilles des animaux et des végétaux sculptant les minéraux. Partout s’opère des déphasages de perceptions et des imaginaires. "Si par parking vous comprenez jardin", alors c’est toute la poésie des métamorphoses et des transformations silencieuses qui s’invitent à vous.

En s’inventant des univers, en troquant des mots par d’autres, l’artist-run space Wonder/Liebert active des énergies solidaires susceptibles d’inventer de nouveaux futurs tout aussi imprévisibles qu’insondables. Vouloir les anticiper, les objectiver ou les mesurer comme le fit le projet moderne, revient à scanner avec une application 3d un bunker qui s’embrase. En érigeant des piédestaux de glace à la gloire de notre humanité, nous avons oublié combien le soin aux uns ne se fait pas au détriment des autres, et combien la relation sera toujours première dans la formation du monde.

Marion Zilio, critique d’art et commissaire d’exposition
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Wonder/Liebert - Group Show
Pierre Gaignard, Mahalia Köhnke-Jehl, Grolou Louis Danjou, François Dufeil, Guillaume Gouerou, Thomas Teurlai, Jérôme Clément Wiltz, Marie Limoujoux
"Papapapapaaa papa paam"

Depuis cinq ans, nuit et jour, le Wonder/Liebert occupe de larges complexes désaffectés de Saint-Ouen à Nanterre, en passant par Bagnolet. L’association façonne ces bâtiments à son image : des lieux hors du temps, habités et pensés, par et pour des artistes, des musicien.ne.s, des réalisateur.trice.s, des curateur.trice.s, des poéte.sse.s, des cuisinier.ère.s et des chercheur.se.s. Fondé par neuf artistes, le Wonder/Liebert en accueille désormais soixante-cinq, ainsi que trois programmes de résidences internationales, avec la même volonté d’action et d’autonomie. Depuis sa création, les membres de l’artist-run space élaguent, bêchent, plantent et arrosent ces anciens espaces de bureaux transformés en ateliers collectifs, où toutes les machines sont mutualisées. Les artistes, et le voisinage, contemplent leur parking se métamorphoser en jardin. Au bord du périphérique parisien poussent des sculptures monumentales, des envies de se retrouver, de célébrer la ville et d’allumer les feux. Sur le bitume, les matières signifiantes s’élèvent et se mêlent jusqu’à se recouvrir, fusionner ou entrer en symbiose. Un musée à ciel ouvert qui transforme ses œuvres au gré des conditions météorologiques, un lieu de déshérence où le public est invité à danser l’opéra-destruction, en vue d’une recréation fédérative. L’ADN du collectif se trouve dans son engagement : organiser un espace de travail et d’expérimentation pour de jeunes artistes, en leur proposant matériel et ateliers à bas coût. Derrière cela, il s’agit d’écrire un récit communautaire, en réinventant les systèmes de production et de diffusion de l’art à la périphérie de Paris, selon une économie solidaire et circulaire.

Le bâtiment est une machine de travail, un organisme géant où grouille une effervescence artistique et cohabitent de nombreuses espèces vivantes et non-vivantes, humaines et non-humaines. Les œuvres et les outils sont des prolongements des êtres, à moins qu’il n’eût s’agit de l’inverse. Cohabiter, c’est aussi se laisser contaminer, voire coloniser, admettre que sa singularité provient de liens qui libèrent. Le succès évolutif est né du rôle crucial de l’interdépendance et de la coopération, avant que le vivant ne découvre qu’il est possible de se parasiter puis de s’entredévorer.

En introduisant dans l’espace d’exposition, les conditions de prolifération d’un champignon, Nelson Pernisco administre ce qui soigne et ce qui rend malade. À mi-chemin entre le règne animal et végétal, les champignons sont à la fois autonomes en produisant, comme les végétaux, leur propre nourriture et dépendant d’autres organismes pour survivre, comme les animaux. Ils sont la métaphore de ce qui se trame, au quotidien, dans la vie de ces artistes, et de ce qui se joue ici. Pierre Gaignard, Mahalia Köhnke-Jehl, Grolou Louis Danjou, François Dufeil, Guillaume Gouerou, Thomas Teurlai ont tous accepté que leurs œuvres soient parasitées, mais selon une contamination positive et inclusive. Car si la mort appelle la vie, la décomposition et la destruction reste la promesse d’un cycle à venir. De même que dans les forêts naturelles, l’on observe des formes d’entraide entre des espèces d’arbres, grâce au réseau de champignons se développant près des racines, les artistes du Wonder/Liebert ont agencé un système d’échanges et de dons. Les opéras, les barbecues ou les moments de liesse lors de fêtes servent de ciment à la communauté et ouvrent le cercle des initiés à de nouveaux publics. Ils nous rappellent que l’art est le lieu privilégié de la rencontre.

À la moisissure et à la prédation sont préférées les friches d’une collaboration qui maintient la survie de chacun. Ainsi s’achève un deuxième cycle, la tour de Bagnolet sera bientôt vidée et le ventre de la bête migrera et devra s’adapter, à l’issue de cette exposition, à son nouvel environnement.

W/L ft M.Z., janvier 2019

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