Un dernier verre en terrasse, un dernier repas en soirée: la mesure de couvre-feu imposée par le gouvernement à partir de vendredi soir minuit pour contrer l'épidémie de coronavirus suscite une vive incompréhension dans les bars et restaurants de Rouen.
Contrairement aux restaurants qui pourront ouvrir en journée, les bars, eux, vont rester fermés à Rouen pendant plusieurs semaines. "C'est l'incompréhension totale", assure Guillaume Fouquet, 39 ans, patron du "Café Brun", dans les rues piétonnes de la ville. "Comment est-il possible de se contaminer davantage dans un bar qu'en faisant la queue pour prendre le métro", s'interroge celui pour qui "les bars ne sont pas le coeur du problème".
Le patron de ce café qui accueille une clientèle jeune et étudiante et où les barriques font parfois office de tables, rappelle que "les bars, ce n'est pas seulement l'alcool, c'est aussi le lien social".
"J'ai l'impression d'avoir dix ans, avec des parents qui m'obligent à rentrer à la maison", tonne Julien, un chauffeur- livreur de 28 ans, évoquant aussi l'anachronisme à ses yeux d'un métro qui, lui, reste ouvert. "Ce n'est pas logique", peste-t-il.
"En fermant tous les espaces de loisir et de plaisir, on perd notre liberté", renchérit Loïc, 32 ans, chargé de clientèle, regrettant qu'on ne soit plus que "dans la logique du travail et de la consommation".
A quelques pas de là, au "Bistrot d'Arthur", Geoffroy, le patron de 37 ans, ne comprend pas: "On a respecté toutes les règles qui nous ont été imposées. On a même installé des parois en plexiglas entre certaines tables et on en a supprimé d'autres". "C'est incohérent, dit-il, on laisse ouvert le midi et on ferme le soir".
- "A dans six semaines !" -
Ce restaurant, les soirs de forte affluence, peut servir jusqu'à 200 couverts. Dimitri, un ingénieur de 28 ans, est devant l'établissement avec quelques amis en train de fumer une cigarette. "Le couvre-feu, c'est quand même mieux que le confinement", reconnaît-il, tout en s'interrogeant sur l'efficacité de la mesure. La baisse de la contamination, "ça va plutôt se jouer sur le civisme des gens", prédit-il. Pour pouvoir profiter de prochains dîners, lui et ses amis ont déjà prévu "de se retrouver plus tôt qu'à l'habitude".
"Ce soir, tous les bars sont pleins", constate Ismaïl, 37 ans, qui, avec deux salariés, tient depuis plus de six ans le "Shahmeran". Il se dit "fatigué, stressé, de vivre au rythme des annonces de la préfecture ou du gouvernement".
"Les principaux foyers de contamination sont dans les université et les entreprises. Et pourtant, on ferme les bars", déplore-t-il.
Il ne sait toujours pas de quelles aides il pourra bénéficier, relevant que les 1.500 euros perçus lors du confinement ne lui ont pas permis de couvrir ses charges. Il craint aussi pour ses fournisseurs. "Ils sont vraiment dans la m...", dit-il.
Le bar "Le 3 pièces", lieu de rendez-vous de la jeunesse rouennaise, est bondé. La queue pour s'acheter un verre au bar s'étire jusqu'à l'extérieur de l'établissement, avec partout, des clients debout ou assis.
Sébastien, un consommateur de 36 ans, "pense au patron et à tous les clients qui subissent la situation". "Moi, je suis assez casanier et le couvre-feu ne me dérange pas trop", concède-t-il.
Ce vendredi soir, "le bistrot d'Arthur" est aussi complet. Aux clients qu'il doit refuser, Geoffroy lâche: "Désolé. A dans six semaines!"
A partir de 22H, plusieurs bars ont "fait du bruit" en guise de baroud d'honneur avant cette fermeture imposée, certains en allumant des fumigènes comme le patron du "3 pièces". Peu après, quelques dizaines de personnes se sont rassemblées dans le calme, sans slogan ni banderole, devant la mairie de Rouen.