Coronavirus : pas de printemps pour les parcs et jardins privés

Sevrés de visiteurs en raison de la crise sanitaire, les parcs et jardins privés, souvent fragiles économiquement, voient avec inquiétude s'écouler le printemps, saison où "la nature est généreuse" et où ils réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires.

"C'est magnifique, tout est en fleurs: magnolias, camélias, rhododendrons, azalées, etc... En plus, c'est une année exceptionnelle: on a eu beaucoup d'eau pendant l'hiver et pas de gelées. La nature est généreuse, vous savez", assure Isabelle Vaughan, qui gère les jardins de Kerdalo, à Trédarzec, dans les Côtes d'Armor.

Mais, comme tous les autres, le parc de 18 ha, qui descend en pente douce vers le Jaudy, est fermé. Et, comme la plupart de ses collègues, Mme Vaughan voit avec inquiétude les réservations s'effondrer, en particulier pour les groupes, européens mais aussi nord-américains, voire australiens.

"C'est une avalanche d'annulations pour les groupes", déplore aussi Alain Jouno, qui a créé il y a 25 ans le parc botanique de Haute-Bretagne, près de Fougères (Ille-et-Vilaine). "Tous les étrangers ont annulé, y compris pour l'automne".

Les parcs et jardins, "c'est une activité saisonnière" quand les jardins sont au plus beau et "il faut savoir que nous sommes très fragiles". "En ce qui nous concerne, nous allons être amputés à 100% de notre chiffre d'affaires", prévoit Isabelle Vaughan. "Je ne suis qu'une petite structure, donc je n'ai pas grand-chose à attendre des banques..."

Sur ses 25 hectares où il abrite 24 jardins d'inspirations différentes, le parc de Haute-Bretagne a diversifié ses activités: outre les 30.000 billets d'entrée annuels pour le parc, il dispose de chambres d'hôtes, accueille des scolaires et entretient une pépinière.

Mais même les plants sont victimes du confinement: "notre stock va nous rester sur les bras! Si on les rempote pour l'an prochain, ce sont des charges supplémentaires", constate Alain Jouno qui a conservé ses six salariés. "On ne peut pas les mettre en chômage partiel: au bout de trois mois, le jardin serait en friche et irrécupérable pendant un an", assure-t-il. "On est doublement pénalisés: les autres entreprises n'ont pas de recettes, mais elles n'ont pas de charges!"

-"De la beauté, de la poésie"-

Même inquiétude au parc de Boutiguéry, près de Quimper. "Cette période de l'année, c'est presque la totalité de notre chiffre d'affaires", s'angoisse Virginie de la Sablière. "Mon jardin, je le tiens à bout de bras avec mon papa de 88 ans!"

Sur ses 20 ha qui descendent vers l'Odet, Boutiguéry a également une importante activité de pépinière. "Les gens viennent acheter mais il y a aussi les fêtes des plantes, où l'on vend bien, qui sont toutes annulées", regrette la jeune femme, qui a repris l'entreprise familiale il y a 10 ans.

Tous tenus par des passionnés, ces parcs et jardins privés n'ont ni institutions publiques, ni fondations pour les soutenir. "On est +jardin remarquable+ (un label décerné par le ministère de la Culture, ndlr) mais on se demande à quoi ça sert car, dans une crise comme celle-là, on ne voit rien venir", regrette Isabelle Vaughan.

"Ils ne peuvent pas laisser tomber les petites entreprises comme nous", espère Virginie de la Sablière qui garde "malgré tout foi en l'humain".

"On pense à l'animal et pas au monde végétal alors que c'est encore plus laborieux, plus difficile (...) On fait aussi un travail de préservation", rappelle Oriane Jouno, trentenaire et gérante du parc créé par son père.

Chacun essaie à sa façon de tracer des pistes. Le parc de Haute-Bretagne vient de lancer sur le site Kisskissbankbank une "prévente" en ligne de billets pour des visites au parc ou des nuits au château quand la situation sera rétablie. Mais "ma fille se pose des questions sur l'avenir", reconnaît Alain Jouno.

Boutiguéry fourmille de projets encore en gestation. Car malgré les difficultés, pour Virginie de la Sablière, "il est hors de question de baisser les bras" quand "on a la chance de vivre dans ce paradis" et de créer "de la beauté et de la poésie!".