Coronavirus: la protection des personnes âgées fait craindre leur isolement

Interdiction de se rendre dans les Ehpad, annulation de visites à domicile, le tout sur fond d'informations rapidement anxiogènes: les mesures très restrictives prises pour protéger les personnes âgées du coronavirus font craindre des conséquences sur le bien-être des aînés, déjà en proie à la solitude et l'isolement.

"Les journées étaient déjà longues avant. Mais là, j'ai arrêté la télé, j'en avais marre de n'entendre parler que de ça", raconte à l'AFP Lucie Godet, 80 ans, qui vit seule à Paris.

Cette octogénaire, professeure à la retraite, n'est "pas encore trop inquiète" pour sa santé mais elle a néanmoins déjà constaté quelques changements dans son quotidien. "Hier, je devais aller donner un cours de français, mais mon élève ne s'est pas présenté", poursuit-elle.

Plus vulnérables au Covid-19, les plus de 75 ans font l'objet de toutes les précautions. Mercredi, le gouvernement a encore renforcé les restrictions pour les protéger du virus, suspendant toutes les visites dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les unités de soins de longue durée (USLD).

Une mesure exceptionnelle pour "éviter des formes graves, ce qui va être important pour que le système de santé ne soit pas trop embouteillé", a justifié Jean-François Delfraissy, président du comité national d'éthique, relevant que "la mortalité est nettement supérieure, autour de 12%, pour les personnes âgées" de plus de 80 ans.

Si dans les Ehpad, il est simple de contrôler les visites extérieures, la question se pose pour les personnes qui vieillissent à domicile, également exposées à la maladie.

"Toutes nos prestations sont assurées", assure à l'AFP Sylvie Carpentier, du réseau d'aide à domicile Adhap. Cependant, par crainte d'une contamination, des familles "commencent à annuler des prestations pour des actes non-prioritaires, comme le ménage", constate-t-elle.

En période d'épidémie, toutes les mesures de précautions ont été rappelées aux assistantes de vie, qui se déplacent auprès des aînés pour la toilette, l'aide au repas, la gestion du quotidien, et sont bien souvent leur seule compagnie.

"On se doit d'être présent pour maintenir un lien et rassurer ce public super fragile", ajoute Mme Carpentier.

- Lettres, téléphone, petits cadeaux -

"A domicile ou par téléphone, beaucoup d'aînés ont peur, paniquent car les informations sont assez anxiogènes, surtout les concernant", constate pour sa part Blandine Binet, coordinatrice des Petits frères des pauvres dans l'Oise, un foyer épidémique.

De fait, certaines personnes suivies par les bénévoles de cette association "se sont renfermées. On a par exemple, une dame qui préfère ne pas être lavée, plutôt que d'attraper le coronavirus", poursuit-elle.

"Pour ceux qui sont en établissement, les bénévoles écrivent des cartes postales, des lettres, passent un coup de téléphone, déposent des petits cadeaux à l'accueil, pour éviter qu'ils se sentent encore plus seuls".

Le téléphone, une solution "compliquée", estime Julie, 41 ans, qui ne peut plus rendre visite à sa grand-mère atteinte d'Alzheimer.

"Chaque visite la stimule un minimum, et dans les cas de démence ou Alzheimer, c'est très important. Pour ces résidents qui ne peuvent communiquer que par contact physique, c'est impossible de compenser par le téléphone ou Skype", témoigne à l'AFP cette cadre, se demandant "comment on va la retrouver quand on va pouvoir y retourner".

"Ce qui m'inquiète c'est de la savoir seule, même si je sais que c'est cohérent de protéger les plus vulnérables", note-t-elle.

Chez certains proches, conjoints, aidants - qui parfois suppléent le personnel des établissements auprès du résident - la mesure a suscité de la détresse. Comme chez certains soignants, qui ont notamment témoigné sur Twitter de leur crainte de voir des personnes "très âgées qui tout à coup, ne recevant plus la moindre visite de leurs proches, deviennent profondément déprimées et déboussolées".

Il faut retrouver "le bon curseur entre la santé physique et la santé affective de nos aînés", plaide auprès de l'AFP Romain Gizolme de l'association de directeurs auprès des personnes âgées (AD-PA), se demandant "ce qu'on fera quand on passera au stade 3".

Jugeant que "la sécurité l'emporte sur l'éthique et la liberté", l'association a demandé que le Conseil consultatif national d'éthique soit saisi "en urgence" de cette interdiction.

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