Contre les pucerons de la betterave, pas de pesticides: Agriodor parfume les champs

"Toute la différence avec les pesticides, c'est que les odeurs, ça ne tue pas": dans son laboratoire de Rennes, Ené Leppik, cofondatrice de la jeune pousse française Agriodor, invente avec son équipe des parfums qui chassent les prédateurs des cultures.

En trois ans, l'entreprise a mis au point un produit de biocontrôle baptisé Insior qui donne des résultats très prometteurs contre le puceron vert, vecteur de la jaunisse de la betterave sucrière qui peut entraîner jusqu'à 30% de perte de récolte.

Dans les champs traités, "les populations de pucerons sont réduites de moitié: ils sont perturbés, ils s'alimentent moins et se reproduisent moins (...), on a cassé la reproduction exponentielle dans la parcelle", explique la chercheuse, directrice scientifique d'Agriodor.

L'équipe, qui regroupe éthologues, entomologistes, agronomes et chimistes, a élaboré une "stratégie olfactive": étudier le comportement du puceron vert pour déterminer les odeurs qu'il n'aime pas, avant de fabriquer le cocktail qui le fera fuir.

- "Vin chaud" -

Mais comment capturer une odeur ? Tout se passe au laboratoire analytique d'Agriodor à Rennes.

Les plantes émettent des odeurs "à l'état de traces". Pour les prélever, la technicienne Marie Gresle crée un espace fermé autour de la plante: une sorte de petite cage entourée de plastique transparent.

L'air de la cage est pompé et dirigé sur une cartouche de résine, où les odeurs vont se fixer. Un solvant permet de les récupérer et de les analyser, notamment à l'aide d'un spectromètre de masse.

C'est là que les effluves se transforment en chiffres. On peut identifier et quantifier les molécules composant les odeurs: "L'idée est de déterminer combien de molécules dans un certain volume d'air créent un comportement de fuite chez l'insecte", explique Ené Leppik.

Pour tester ses découvertes, Agriodor élève pucerons verts, mouches et autres ravageurs des cultures. Des travaux ont ainsi été lancés sur la drosophila suzukii, qui s'attaque aux cerises, ou sur les thrips, dits bêtes d'orage du blé. Diverses expériences permettent d'étudier leur appétence ou dégoût pour chacune des molécules.

Le répulsif Insior qui éloigne Mysus persicae, le puceron de la betterave, est un concentré de différentes molécules synthétisées dans de minis granulés, à épandre à raison de quatre kilogrammes par hectare.

La recette, secrète, contient du clou de girofle et du basilic. Un agriculteur y reconnaît "l'odeur du vin chaud".

Autorisé en 2024 par dérogation sur 500 hectares, essentiellement en France mais aussi au Royaume-Uni et en Allemagne, ce répulsif est distribué depuis quelques mois par Syngenta: le géant mondial des pesticides, qui cherche à élargir sa palette de produits de biocontrôle, vante "l'approche innovante" d'Agriodor.

L'enjeu est de taille pour les cultures industrielles: la France est deuxième producteur européen de sucre de betterave, derrière l'Allemagne, et exporte annuellement environ 2,4 millions de tonnes de sucre, soit près de la moitié de sa production.

C'est notamment pour préserver cette filière sucrière que certains syndicats agricoles réclament la réautorisation en France d'un insecticide néonicotinoïde, très toxique pour les pollinisateurs. Cette réintroduction est prévue par une proposition de loi qui arrive lundi à l'Assemblée nationale.

- "Approche holistique" -

Mais pour l'agriculteur Benoit Ambeza, qui teste Insior dans ses champs de betteraves du Pas-de-Calais, il n'est pas question de "revenir en arrière".

"Il faut trouver des alternatives (aux néonicotinoïdes, NDLR) moins agressives pour la plante et plus acceptables pour le consommateur et pour nous (...), on met notre santé en jeu aussi", affirme-t-il à l'AFP.

Il utilise Insior "en préventif": en piquant la plante pour se nourrir de sève, l'insecte perturbe la photosynthèse et donc la production de sucre. Le plant est sensible lorsqu'il développe ses premières feuilles. Mais au-delà de 12 feuilles, la culture est "assez forte" pour supporter l'assaut.

Ce produit est-il une alternative aux pesticides conventionnels ? "C'est une solution de biocontrôle. On ne peut pas remplacer une solution qui tue 99% ou 100% des insectes", répond Ené Leppik.

"Le problème, c'est que (les néonicotinoïdes) tuent aussi les prédateurs du puceron. Avec notre solution olfactive, on empêche ou on retarde l'invasion des pucerons et cela donne le temps à ses prédateurs naturels, comme la coccinelle ou les syrphes, d'arriver", explique-elle, défendant une "approche holistique".

sb/abb/gvy/tmt