Climat: partie de poker au Sénat sur la question des moulins à eau

Le Sénat a adopté jeudi contre toute attente, sans modifications, un dispositif voté par les députés dans la loi climat, qui exclut la destruction des retenues de moulins à eau pour préserver l'écologie des rivières, au terme d'un débat qui a tourné à la partie de poker.

Voté conforme par le Sénat dominé par l'opposition de droite, l'article introduit à l'Assemblée nationale contre l'avis du gouvernement est désormais verrouillé et ne pourra plus être modifié dans la suite de la navette parlementaire.

La partie serrée s'est jouée en moins d'une heure.

Au coeur du sujet, les moulins à eau qui égaient de petits cours d'eau, comme la Bouillante, chère à Daniel Gremillet (LR) ou la Cléry "magnifique" et ses 30 moulins, célébrés par Jean-Pierre Sueur (PS).

Or une directive-cadre européenne sur l'eau a fixé aux Etats des objectifs contraignants pour préserver le bon état écologique des cours d'eau et celui des milieux aquatiques. Il s'agit en particulier d'assurer la circulation des poissons migrateurs et le transport des sédiments pour lesquels les ouvrages hydrauliques, dont les moulins, peuvent faire obstacle.

Pour assurer la "continuité écologique", des travaux d'aménagement peuvent être exigés, mais les propriétaires de moulins contestent une mise en oeuvre trop rigide. Entre 3.000 et 5.000 retenues d'eau, en particulier des retenues de moulins, auraient ainsi été détruites dans le cadre des subventionnements des agences de l'eau.

Les parlementaires se sont emparés du sujet avec la difficile mission de trouver un équilibre entre défenseurs du patrimoine culturel et défenseurs du patrimoine environnemental.

Après des discussions passionnées à l'Assemblée et le vote, contre l'avis du gouvernement, d'une disposition radicale, les sénateurs se sont fait forts de trouver en commission une solution de compromis.

Un débat non moins passionné était quand même attendu dans l'hémicycle du Sénat, mais l'affaire semblait bien engagée, le vote en commission étant rarement désavoué en séance.

D'autant que la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a salué "une rédaction beaucoup plus équilibrée" qui permet de préserver le patrimoine tout en laissant la possibilité de réaliser les travaux "quand en gros tout le monde en est d'accord".

- "Des années qu'on attend" -

Guillaume Chevrollier (LR) a cependant défendu un amendement visant à revenir à la rédaction des députés qui "consacre un principe de non destruction des moulins à eau".

A ce moment du débat, la surprise est venue du rapporteur centriste Pascal Martin, qui s'en est remis à la sagesse du Sénat sur "l'opportunité de revenir à la rédaction des députés". Il a expliqué que des sénateurs lui avaient exprimé leur crainte que la disposition disparaisse purement et simplement dans la suite de la navette.

Une position assumée par la présidente LR de la commission des Affaires économiques Sophie Primas. "Ca fait des années qu'on attend cette disposition pour les moulins. (...) Au moins on est sûr (...) que l'article sera validé et fermé".

"Déstabilises", les écologistes ont appelé à rester sur l'équilibre trouvé en commission, qu'ils souhaitaient pourtant eux-mêmes amender.

La ministre s'est elle engagée "formellement" à ce que l'article soit maintenu en commission mixte paritaire (CMP) dans la version sénatoriale. "Et si jamais la CMP échoue, ce qui peut arriver, en nouvelle lecture nous défendrons cette position et je peux vous garantir qu'à l'Assemblée ça sera votée", a-t-elle assuré.

"Si vous fermez l'article maintenant, on a un vrai problème de régression environnementale potentielle", a-t-elle mis en garde.

Après une courte suspension de séance à la demande du président centriste de la commission de l'Aménagement du territoire Jean-François Longeot, la majorité sénatoriale a abattu ses cartes.

"J'ai la lourde tâche d'essayer de tenter d'éclaircir la position de la commission et de la majorité sénatoriale: nous allons demander de voter l'amendement de Guillaume Chevrollier", a déclaré Didier Mandelli (LR).

L'amendement a été voté à main levée.

La majorité sénatoriale avait dans son jeu une proposition de loi LR, votée en première lecture en avril, excluant expressément la destruction des modalités de mise en conformité des moulins.