Au tour des députés de plancher sur le texte climat, traduction des propositions de citoyens. Mais cette expérience inédite de construction de la loi, à renouveler pour les uns, fait aussi grincer des dents auprès de certains parlementaires.
La ministre Barbara Pompili dit qu'elle n'acceptera "aucune baisse d'ambition"? Réponse du berger Richard Ferrand, président de l'Assemblée, à la bergère: "Le Parlement est souverain dans l'élaboration et le vote de la loi".
C'est que chacun marque son territoire, dans ce processus d'élaboration novateur. Comme voulu par Emmanuel Macron au sortir de la crise des "gilets jaunes", 150 citoyens tirés au sort ont phosphoré sur une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a remis en juin 149 propositions au président, de la rénovation thermique des logements à l'encadrement de la publicité. Le chef de l'Etat a rejeté trois idées et s'est engagé à transmettre les autres "sans filtre".
Mais pour ce qui relève de la loi, "maintenant c'est le temps du Parlement", affirme le chef de file des députés LREM Christophe Castaner, en soulignant que "les 150 citoyens n'étaient pas des juristes avec des administrateurs".
Les parlementaires se sentent-ils dépossédés? "Ils veulent s'emparer des mesures, c'est normal, et il ne faut pas opposer la légitimité des uns et des autres", fait valoir à l'AFP François de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique qui avait mis sur les rails la CCC et avait dû alors convaincre jusque chez LREM.
L'actuelle ministre Barbara Pompili a reconnu qu'"au départ" elle était "assez dubitative". Mais il faut "réinventer des lieux de participation" et cette "autre forme de démocratie (...) mérite de tenter le coup", disait-elle il y a quelques mois.
Si d'autres pays ont mené de telles conventions citoyennes (Canada, Irlande...), sa légitimité ne va pas de soi en France.
- "Pieds et poings liés" -
"Qu'on laisse chacun à sa place", met ainsi en garde le député LR Philippe Gosselin. Car "la représentation nationale ne peut se retrouver pieds et poings liés".
Et de soupçonner Emmanuel Macron d'avoir voulu par ce processus de CCC "court-circuiter" les institutions et la majorité qui "peuvent être rebelles".
Au MoDem allié de LREM, certains comme Erwan Balanant saluent via la CCC la création d'un "consensus pour avancer". Mais son collègue Jean-Louis Bourlanges s'étrangle: "je vois des gens ni représentatifs, qui ne sont pas élus et pas experts. Ils ont des idées comme tout le monde mais je pense que le pouvoir doit appartenir aux élus".
L'insoumise Mathilde Panot rappelle avoir été "assez critique" au démarrage: "la CCC avait été faite par l'exécutif pour gagner du temps, dans de l'agitation communicationnelle". Puis "des citoyens ont vraiment fait le travail" et si Emmanuel Macron "ne reprenait pas ce qu'il voulait, ce serait intéressant".
Au rang des plus enthousiastes figure l'ancienne ministre socialiste Delphine Batho, qui demande que toutes les propositions des citoyens soient bien soumises au Parlement, sans "le mur de la Ve République".
Ex-"marcheur" proche de Nicolas Hulot, Matthieu Orphelin promet aussi qu'il portera les 150 mesures des citoyens, "de gauche, de droite, ou non politisés, pas 150 Amish" - en allusion au mot du président quant à un moratoire sur la 5G.
Si le bilan du processus de CCC est en demi-teinte, c'est que "l'exécutif n'a pas tenu ses engagements", dénonce aussi le député, rappelant les très mauvaises notes attribuées fin février par les citoyens au gouvernement.
La présidente LREM de la commission spéciale à l'Assemblée, Laurence Maillart-Méhaignerie, aurait préféré que les citoyens jugent "après" le travail au Parlement. Défendant un exercice de "respiration démocratique", elle estime "qu'on peut faire appel à d'autres conventions citoyennes pour des grands débats de société".
"On a essuyé les plâtres. Cette nouvelle voix politique des citoyens a créé un rapport de forces", lâche une autre responsable macroniste. Qui plaide: "Même si on a des divergences" avec eux, "on doit continuer de faire la démonstration que c'est une réussite", au vu des enjeux.