Climat: l'extinction de forêts sous-marines menace poissons et crustacés

Leur canopée abrite des centaines d'espèces végétales et animales. Les forêts de laminaires, ces algues brunes qui peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur, sont menacées par le réchauffement de l'océan. Leur disparition aurait des conséquences en cascade sur les écosystèmes et la pêche.

"On a vu des oursins, des vieilles, des petits lieus jaunes", décrit Martial Marzloff, en remontant d'une plongée d'une vingtaine de minutes en mer d'Iroise.

Au large de la pointe bretonne, le chercheur en écologie marine réalise avec trois autres plongeurs de l'Ifremer les relevés sur le champ de laminaires de l'archipel de Molène (Finistère), considéré comme un des plus grands d'Europe.

Équipés d'un mètre de couturière, les nageurs se relaient à une dizaine de mètres de profondeur pour mesurer la taille des algues et la noter sur une tablette à l'aide d'un stylo.

"On a eu ici plusieurs épisodes avec des mortalités assez importantes. L'idée, c'est de voir à quelle vitesse la population retrouve sa situation initiale", explique Martial Laurans, chercheur en écologie halieutique, qui dirige les relevés.

Par endroits, ce sont plusieurs milliers de tonnes de biomasse d'algues qui ont disparu, comme en 2023, sans que les scientifiques n'en comprennent complètement la raison. "Même si, très clairement, les changements des conditions du milieu peuvent expliquer cette tendance-là", nuance M. Laurans. Car ces plants "ont des limites de température autour de 18 degrés. Donc quand ça dépasse 18°C, ils se mettent en résistance".

- Disparitions locales -

Dans le sud de la Bretagne, où l'eau de surface est plus chaude, l'espèce Laminaria hyperborea a ainsi complètement disparu de certains sites et a fortement régressé ailleurs. Dans les Hauts-de-France et en Normandie, où l'eau se réchauffe également en été, c'est une autre espèce, Laminaria digitata, qui se raréfie et s'est éteinte sur certains sites. Et dans le Pays basque et le nord de l'Espagne, c'est une troisième espèce (Laminaria ochroleuca), pourtant adaptée aux eaux plus chaudes, qui perd du terrain.

En 2013, dans un article publié par la revue Plos One, des scientifiques prédisaient ainsi des extinctions locales de l'espèce Laminaria digitata sur les côtes françaises, anglaises et danoises, dès les années 2050.

"Le nord de la Norvège deviendra peut-être à terme une zone refuge pour l'espèce, parce qu'elle aura reculé partout", résume Dominique Davoult, professeur émérite à la station biologique de Roscoff (Finistère) et coauteur de l'étude.

Affectées par la chaleur de l'eau, les laminaires le sont aussi par l'augmentation des précipitations et des inondations sur le continent, qui déversent de fortes quantités d'eau turbide et douce dans l'océan. "C'est évidemment néfaste pour le développement des algues qui ont besoin de luminosité pour faire leur photosynthèse", remarque Sandrine Derrien-Courtel, chercheuse en écologie benthique au laboratoire CESCI de la station marine de Concarneau (Muséum national d'Histoire naturelle) dans le Finistère.

- Canopée protectrice -

La disparition de ces champs de laminaires risque d'entraîner celle des nombreuses espèces marines qui y nichent, y pondent ou s'y nourrissent. Les laminaires, "c'est comme une forêt, elles forment ce qu'on appelle une canopée. Et il y a beaucoup d'espèces qui vivent dessous. La canopée abrite des trop grandes lumières, mais elle abrite aussi de la houle en cassant les courants", enchaîne M. Davoult, décrivant "des milieux très riches".

Outre des centaines d'espèces de petites algues, les champs de laminaires accueillent ormeaux, homards, roussettes, poulpes, oursins, étoiles de mer, crabes et poissons juvéniles comme le lieu jaune.

"Lorsque l'habitat a disparu, le milieu s'appauvrit: les pêcheurs disent bien que, là où les champs de laminaires ont disparu, ils ne trouvent plus autant de crustacés ou de poissons", décrit Mme Derrien-Courtel.

Les pêcheurs sont d'ailleurs les premiers concernés. Dans le Finistère, la récolte des algues fait vivre une trentaine de navires goémoniers, au printemps et en été.

Mais "les saisons ont tendance à être plus courtes", regrette Pascal Treguer, 52 ans, goémonier depuis 14 ans à Lampaul-Ploudalmézeau. "L'algue ne se développe plus autant. Il y a toujours des plants. Mais ils sont beaucoup plus courts en taille".