Climat: au nord de Paris, la forêt de Montmorency menacée par la maladie de l'encre

Un mal invisible venu d'Asie et contre lequel il n'existe aucun remède: la forêt de Montmorency au nord de Paris, déclarée en "crise sanitaire", se bat contre une maladie qui ravage ses arbres et progresse à la faveur du changement climatique.

Dans cette forêt du Val-d'Oise d'environ 2.000 hectares, les châtaigniers dépérissent, foudroyés par la maladie de l'encre, causée par le phytophthora.

Pour observer les ravages de ce pathogène - microscopique, entre le champignon et l'algue - il faut détourner les yeux des sentes et les lever vers les cimes: les individus atteints produisent des feuilles plus petites, d'un vert pâlot. Certains sont même dépourvus de feuillage.

"Sentant leur fin arriver", ils produisent aussi de petites châtaignes car "ils fructifient quand ils ont un stress", explique Michel Béal, directeur de l'agence territoriale Ile-de-France Ouest de l'Office national des forêts (ONF).

Le pathogène, présent dans le sol, s'attaque aux racines et se nourrit des tissus vivants de l'arbre qui, affaibli par l'envahisseur, défaille "en deux, trois mois", retrace-t-il.

Les racines, nécrosées, peinent à maintenir l'arbre debout, créant aussi un risque accru de chute, dans une forêt fréquentée par près de cinq millions de promeneurs par an, selon l'ONF.

"C'est notre épidémie à nous", déplore M. Béal, qui précise que "la forêt de Montmorency est la seule d'Ile-de-France a être classée en crise sanitaire par l'ONF depuis 2018." Ce qui signifie que le plan de gestion habituel n'est plus applicable, les forestiers étant "débordés", ajoute-t-il.

Le phénomène est au coeur des préoccupations de l'ONF qui travaille sur ce sujet avec le ministère de l'Agriculture et des scientifiques de l'INRAE (Institut national de recherche en agriculture, alimentation et environnement).

L'épidémie ne touche que les châtaigniers et sévit dans d'autres forêts de France (Pays de la Loire, Dordogne) et d'Europe.

- Un "cocktail" météorologique -

La maladie de l'encre a explosé ces dernières années, alors que le pathogène venu d'Asie était présent en France à l'état latent depuis le milieu du XIXe siècle.

Mais c'était sans compter sur le changement climatique, qui l'a tiré de sa torpeur.

Aux yeux de Michel Béal, ce réveil est dû aux effets d'un "cocktail" météorologique: absence "d'hiver très froid", "printemps doux et pluvieux" qui favorisent la prolifération du champignon, et "étés secs" qui assoiffent davantage des arbres aux racines défaillantes.

Seule issue pour limiter les dégâts: abattre les arbres malades, autour de leur cinquantaine, soit moitié moins que leur espérance de vie dans une exploitation forestière classique.

Grâce à des photos aériennes et au repérage des forestiers sur le terrain, des parcelles sont délimitées pour procéder à la coupe des arbres malades.

Sur la parcelle n°19, mesurant huit hectares, une abatteuse s'emploie à accélérer leur fin de vie: pris en tenaille dans ses fourches, un châtaignier tombe au sol, rompant le calme des lieux, puis est découpé mécaniquement.

Si la pourriture n'est pas trop importante, son bois sera recyclé pour différents usages: bois de chauffage pour les chaufferies franciliennes, piquets de clôture, parquet, meubles.

"Quand on coupe des arbres, c'est toujours un déchirement", observe Denis Hemmer, technicien forestier qui vit depuis 35 ans au coeur du massif. Mais il le sait: "on n'a pas le choix sinon on laisse mourir la forêt."

Au démarrage des opérations, des "îlots paysagers" avaient été conservés pour ne pas trop susciter l'inquiétude des promeneurs. Mais à mesure que la maladie a gagné le massif, les forestiers ont été contraints d'augmenter la surface des parcelles d'arbres à abattre.

L'ONF s'est fixé un objectif de 40 hectares de coupes rases par an, dans différentes parties de la forêt. Et informe en parallèle les promeneurs sur son plan de lutte.

Alors, à la place des châtaigniers abattus, d'autres essences sont progressivement replantées, à l'image du chêne, résistant, lui, à la maladie de l'encre.