Le Sénat a abouti jeudi à un compromis sur une proposition de loi visant à reconnaître la "part de responsabilité" de l'État dans le scandale du chlordécone aux Antilles, malgré certaines déceptions sur la portée réelle du texte et son volet indemnitaire.
La chambre haute a adopté à l'unanimité un texte du député socialiste de Guadeloupe Elie Califer, déjà approuvé en février 2024 à l'Assemblée nationale, tout en lui apportant d'importantes modifications.
Cette proposition de loi fait désormais reconnaître à l'État français "sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques" causés par le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies en Guadeloupe et à la Martinique jusqu'en 1993 malgré des alertes de l'OMS sur sa dangerosité.
"C'est un geste fort de dignité et de reconnaissance à l'égard de toutes les victimes", a salué le ministre des Outre-mer Manuel Valls, affirmant que "jamais un ministre n'avait dit aussi clairement devant le Parlement quelle était la responsabilité de l'État et combien celle-ci devait être assumée".
En effet, même s'il faudra un nouvel examen des députés sur ce texte, il semble désormais en mesure d'aboutir, alors que de nombreuses initiatives parallèles avaient avorté ces dernières années sur ce dossier sensible.
La dernière en date, en avril au Sénat, s'était terminée dans l'indignation, lorsque les sénateurs ultramarins et macronistes avaient choisi de retirer un texte similaire, mécontents de le voir "dénaturé" par la droite et le gouvernement.
Mais le compromis trouvé cette fois-ci a laissé un "goût amer" à certains: "C'est un renoncement vidé de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique", a regretté le sénateur (RDPI) de Martinique Frédéric Buval.
Son groupe parlementaire, une alliance entre ultramarins et macronistes, s'est d'ailleurs abstenu lors du vote. Il met en cause certains reculs par rapport à la version votée à l'Assemblée nationale, qui évoquait la "responsabilité" de la République au sens large et non pas la "part de responsabilité" de l'État comme voté au Sénat.
- "Objectif" d'indemnisation -
Autre reproche: la notion de "préjudice moral d'anxiété" a été retirée du champ de la responsabilité de l'État, après une deuxième délibération demandée par le gouvernement et des tractations entre l'exécutif et l'alliance droite-centristes, majoritaire au Sénat.
Or ce préjudice "d'anxiété" a été reconnu par la cour administrative d'appel de Paris dans une décision datant du mois de mars, ouvrant la voie à une indemnisation des victimes pouvant démontrer qu'elles avaient conscience de courir un risque élevé de maladie.
L'État a formé un pourvoi contre sa condamnation. "Il n'est juridiquement pas possible de mettre sur le même plan le préjudice moral d'une personne malade et le préjudice d'anxiété", a noté M. Valls, appelant à "laisser la jurisprudence consolider cet élément".
D'autres ont regretté que le volet indemnitaire ne figure qu'au rang d'"objectif" de l'État, M. Valls tentant d'y répondre en annonçant le lancement d'un "travail interministériel pour instaurer un nouveau dispositif d'indemnisation pour les victimes non-professionnelles".
"Il fallait trouver un compromis raisonnable" pour faire "avancer le combat", a insisté pour sa part le socialiste Victorin Lurel, ex-ministre des Outre-mer, qui s'est satisfait d'un "texte opérationnel et invocatoire".
Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a conclu en juillet 2021 à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate.