Chlordécone aux Antilles: colère des sénateurs ultramarins sur un texte pour indemniser les victimes

Imbroglio rarissime au Sénat: alors que la chambre haute examinait mercredi un texte pour indemniser les victimes des ravages du chlordécone aux Antilles, les élus ultramarins, macronistes et la gauche se sont indignés de voir cette initiative "dénaturée" par la droite et le gouvernement.

C'est une scène à laquelle les couloirs feutrés du Palais du Luxembourg ne sont pas habitués... Mercredi après-midi, les débats visant à reconnaître la responsabilité de l'Etat sur le scandale du chlordécone, un pesticide utilisé en Guadeloupe et à la Martinique jusqu'en 1993 malgré des alertes sur sa dangerosité, ont été écourtés.

Le sénateur de Guadeloupe, Dominique Théophile, membre du groupe RDPI composé de sénateurs ultramarins alliés aux élus macronistes, a décidé de retirer des débats la proposition de loi qu'il portait après l'adoption d'un amendement soutenu par le gouvernement.

M. Théophile espérait en effet faire inscrire dans la loi la responsabilité de l'Etat dans "les préjudices moraux et sanitaires" subis par les populations antillaises et leur octroyer une indemnisation.

Mais la majorité sénatoriale, une alliance entre la droite et l'Union centriste, a nettement réduit la portée de son initiative en limitant la reconnaissance de la France aux seuls "dommages sanitaires".

Cela exclurait, selon l'auteur du texte, le "préjudice moral d'anxiété" causé par l'utilisation de ce pesticide répandu dans les bananeraies et responsable d'une pollution massive et persistante des sols et de l'eau aux Antilles françaises.

Or ce préjudice "d'anxiété" a été reconnu par la cour administrative d'appel de Paris dans une décision datant du mois de mars, ouvrant la voie à une indemnisation des victimes pouvant le démontrer.

"Je ne pouvais pas laisser prospérer un texte dénaturé", a réagi M. Théophile auprès de la presse. "Nous ne pouvons pas écrire un texte qui exclut ce que nous avons déjà gagné" en justice, a-t-il ajouté, dépité, assurant ne pas vouloir "aller à l'encontre de ce que désire le peuple guadeloupéen et martiniquais".

Il a été soutenu dans sa démarche par l'ensemble de la gauche et son groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), pourtant composé largement d'élus macronistes qui soutiennent le gouvernement.

Plusieurs sénateurs ultramarins, dont le socialiste Victorin Lurel, ont souligné l'existence d'une proposition de loi "mieux-disante", déjà adoptée à l'Assemblée à l'initiative du socialiste Elie Califer et qu'ils entendent reprendre au Sénat dans les prochains mois.

Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a conclu en juillet 2021 à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate.