Cezanne en majesté dans une grande exposition à Aix-en-Provence

Avec "Cezanne au Jas de Bouffan", grande expo estivale qui devrait attirer plusieurs centaines de milliers de visiteurs, Aix-en-Provence scelle sa réconciliation avec son citoyen le plus célèbre, dont la réputation mondiale fait affluer les touristes dans la ville du sud-est de la France.

"Moi vivant, aucun Cezanne n'entrera au musée", avait promis Henri Pontier, conservateur du musée Granet d'Aix en 1906, à la mort du peintre.

Et pendant des décennies "une modeste copie d'un nu masculin classique, réalisé lors de ses études, fut la seule oeuvre de Cezanne dans le musée de sa ville", rappelle l'actuel directeur, Bruno Ely, commissaire de "Cezanne au Jas de Bouffan", qui rassemble 135 peintures, dessins ou gravures, venus des plus grands musées publics ou privés ou encore de collectionneurs d'une quinzaine de pays.

"Modeste copie" qui ouvre le parcours de l'exposition phare (28 juin-12 octobre) de "l'année Cezanne" que célèbre la ville natale du peintre (1839-1906), avec comme "fil rouge, Cezanne chez lui", selon l'expression de la maire d'Aix, Sophie Joissains.

Et ce "chez lui", c'est avant tout le Jas de Bouffan, grande bastide provençale dans l'est de la ville qui fut la demeure de la famille Cezanne de 1859 à 1899 et a fait l'objet d'une profonde restauration pour près de 5 millions d'euros.

Son grand salon avait été décoré de fresques par le jeune Paul, peut-être pour impressionner son père qui souhaitait qu'il soit banquier comme lui. Il fit finalement construire pour son fils un atelier au dernier étage et lui légua à son décès de quoi vivre confortablement.

- 70% reconstitué -

De grandes parties de ces décorations, enlevées et transposées sur toile, puis dispersées au gré des ventes, parfois découpées car les petits formats se vendaient mieux, sont réunies au musée Granet, dont une retrouvée dans une collection privée japonaise il y a quelques semaines à peine. "Environ 70% du salon est reconstitué" estime Bruno Ely.

Et à la bastide même, une animation dans le grand salon recrée les différentes étapes de ces décorations. Le jeune Cezanne n'hésitait en effet pas à repeindre par dessus les premières oeuvres. Et certaines furent recouvertes de papier peint par les propriétaires ultérieures de la demeure.

L'exposition, pour laquelle plus de 50.000 billets ont été prévendus, devrait attirer jusqu'à 400.000 visiteurs, pour admirer des oeuvres prêtées par les National Galleries de Londres et Washington, le Moma, le Guggenheim ou le Metropolitan de New York, la Courtauld Gallery, des musées de Bâle, de Montréal, d'Hiroshima, ou encore la Narodni Galerie de Prague, dont une vue de la bastide sert d'affiche. Des oeuvres issues de collections personnelles d'artistes, Picasso ou l'Américain Jasper Johns, témoignent de l'influence de Cezanne sur ses pairs.

- Pas chercher loin -

Même s'il vit aussi à Paris, "au fil des années Cezanne ne va pas chercher très loin ses sujets, il va tourner autour," souligne Bruno Ely. Et revenir ainsi au Jas de Bouffan, y peindre ou y puiser l'inspiration. Comme cette série de natures mortes, les iconiques pommes ou poires bien sûr, mais aussi de plus rares melon, cerises ou grenade. Sept toiles dont de petits détails laissent penser qu'elles sont peintes d'après la cuisine de la bastide ou dans l'atelier du deuxième étage, reconstitué lors de la récente rénovation.

Au fil des salles de l'exposition, on retrouve les pattes successives du "maître d'Aix" - couillarde du début, à la peinture épaisse étalée au couteau, impressionniste, constructive, voire pré-cubiste.

Des portraits ou scènes, également peints sur place, comme ces célèbres "Joueurs de cartes" venus du musée d'Orsay et qui représentent des paysans des alentours, payés quelques francs pour prendre la pose autour d'une table de jeu installée devant les boiseries du salon de la bastide.

Finalement, résume le commissaire Bruno Ely, le territoire provençal de Paul Cezanne "est un triangle minuscule. Mais qui lui suffit pour réinventer la peinture". Et attirer dans et autour de sa ville natale des visiteurs du monde entier.