Budget: face aux coupes, l'économie sociale et solidaire en "urgence vitale"

L'économie sociale et solidaire, qui représente 10% du PIB français, se dit "fragilisée" par le projet de budget 2026, avec des milliers d'associations, structures d'aide ou coopératives en "urgence vitale" sur fond de coupes redoutées dans les dépenses de l'État et des collectivités.

Réuni à Bordeaux de mercredi à vendredi pour son Forum mondial (GSEF) biennal, ce secteur fondé sur des principes de solidarité et d'utilité sociale craint une "contraction massive" et inédite des fonds publics alloués aux multiples activités de ses 200.000 entreprises et structures en France (2,7 millions de salariés).

Selon la Cour des comptes, les soutiens à l'économie sociale et solidaire (ESS) s'élevaient à 16 milliards d'euros pour l'État en 2024 et 6,7 milliards pour les collectivités territoriales l'année précédente. Environ 80% des 8 milliards d'euros de subventions versées servent à garantir des droits ou assurer des services en lien avec l'État: hébergement d'urgence (18% des subventions en 2024), éducation (15%), accompagnement social et aide alimentaire (13%), accueil des réfugiés et des demandeurs d'asile (12 %)...

L'ESS "souffre d'un manque de reconnaissance et de soutien politique", s'est alarmé mardi Pierre Hurmic, maire écologiste de Bordeaux et président du GSEF, jugeant le projet de loi de finances 2026 "préoccupant".

Au parc des expositions de Bordeaux, des permanents de l'association Inaé, dédiée à l'insertion par l'activité économique, ont revêtu des T-shirts "Insertion en danger - 20.000 emplois supprimés" pour dénoncer une coupe programmée de 14% du budget de l'insertion professionnelle, soit 200 millions d'euros en moins.

- Coup de rabot -

"C'est un secteur en urgence vitale", déclare à l'AFP Jérôme Troquereau, directeur d'Inaé en Nouvelle-Aquitaine, disant n'avoir "jamais" connu un tel coup de rabot en quinze ans.

Selon lui, une trentaine de structures d'insertion régionales ont fermé depuis deux ans et un quart des 450 autres ont des "difficultés avérées".

"Le plus grand plan social à venir concerne le secteur associatif" avec 90.000 emplois potentiellement supprimés, a prévenu mardi Jean-Luc Gleyze, président (PS) du conseil départemental de la Gironde, collectivité elle-même en grande difficulté budgétaire.

"C'est la première fois qu'on voit (des coupes) de manière aussi abrupte", souligne Denis Dementhon, directeur général de France Active, réseau de financement de l'ESS qui a accompagné plus de 37.000 entrepreneurs et mobilisé 492 millions d'euros en 2024.

Pour lui, l'ESS n'est "pas plus subventionnée que d'autres" secteurs, comme l'industrie, mais ses acteurs souffrent notamment d'être "encastrés" dans les politiques publiques. "Il y a une baisse des dotations et des marchés (publics). Et les collectivités ou l'État leur demandent de faire des économies qu'à un moment donné, on ne peut plus faire, sauf à mettre à mal le service", déplore-t-il.

- "La précarité va trinquer" -

Bruno Morel, président d'Emmaüs France, décrit des appels à projet qui reviennent "en arrière", des associations "en très grande difficulté" et "des pans entiers" de l'ESS "très fragilisés".

"On nous dit: +Faites un peu moins de qualité, accueillez plus de personnes+", déplore-t-il auprès de l'AFP. "On fait des économies sur le dos des plus pauvres. Il y a besoin d'argent, donc la précarité va trinquer."

Il évoque ainsi "des centaines de milliers d'euros en moins" pour Emmaüs Solidarité, qui accompagne des personnes à la rue en Île-de-France, et redoute un futur "regroupement" d'associations, en faveur "des plus gros et des moins-disants".

Pour Denis Demonthon, les organisations doivent "se transformer", par exemple "mutualiser des moyens avec d'autres structures du même territoire ou d'autres structures (d'un) territoire voisin, trouver comment numériser un processus...", détaille-t-il, un réflexe "pas classique" dans l'ESS.

Même avis pour Gisèle Rossat-Mignod, directrice du réseau de la Banque des Territoires, entité de la Caisse des dépôts, qui revendique plus de 550 millions d'euros d'investissements dans l'ESS.

"C'est une période d'incertitude, d'inconfort, qui oblige à se mettre en mouvement", souligne-t-elle. "L'économie sociale et solidaire est peut-être dépendante, trop parfois, des subventions. Donc il faut l'accompagner pour qu'il y ait, peut-être, un équilibre, ou une part de l'activité marchande qui soit un peu plus importante."

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