Big data, réseaux sociaux... Les migrations, terrain de jeu des nouvelles technologies

Nous sommes en 2035. Un candidat à l'immigration veut s'installer en France, mais l'analyse de ses faits et gestes grâce au big data laisse penser aux autorités qu'il ne s'intègrera pas correctement. Sa demande est rejetée. Science-fiction? Pas sûr, pense l'OCDE.

Dans les prochaines années, le changement climatique, les aléas géopolitiques et le vieillissement devraient continuer à guider les flux migratoires. Mais d'autres éléments comme les nouvelles technologies sont susceptibles de "changer la donne", anticipe l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans un document présenté à Paris à l'occasion de son Forum sur les migrations.

Ces projections "vers 2035" ne sont pas totalement le fruit de l'imagination: les scénarios présentés sont "suffisamment plausibles et perturbateurs pour mériter l'attention et la préparation des décideurs politiques", selon le rapport.

Par exemple, l'analyse des données personnelles pourrait permettre "d'exploiter les avancées technologiques pour sélectionner les migrants sur la base d'estimations justes et détaillées de leur potentiel d'intégration".

Après tout, la Grande-Bretagne s'en remet déjà, pour des raisons sécuritaires, au big data dans la procédure d'attribution des visas, tandis que les Etats-Unis peuvent demander à des immigrés l'accès à leurs informations sur les réseaux sociaux.

La généralisation du procédé pourrait certes poser des problèmes éthiques, mais aussi "mener vers des processus d'intégration plus réussis et une plus grande acceptation de la population pour la migration", estime l'OCDE.

- "Signaux faibles" -

"On a réfléchi à des scénarios qui pourraient arriver, pour lesquels on n'a que des signaux faibles mais qui pourraient avoir des impacts absolument gigantesques", résume pour l'AFP Jean-Christophe Dumont, responsable des migrations internationales à l'OCDE.

"Imaginons qu'on puisse prédire les comportements à partir des données personnelles. Qu'on sélectionne en fonction de la probabilité que quelqu'un tombe malade, commette un crime, s'intègre plus ou moins facilement, apprenne la langue... Donc pas en fonction de ce qu'on est, mais de ce qu'on pourrait faire demain, selon les algorithmes. Cela donnerait des politiques migratoires très différentes et on n'est pas très loin de ça", poursuit-il.

Autre hypothèse soulevée par l'OCDE: plus aucun migrant ne pourrait vivre dans la clandestinité, car les gouvernements pourraient les géolocaliser pour "anticiper les mouvements migratoires".

"On n'est pas loin de ça en Chine avec la reconnaissance faciale, avec le contrôle des réseaux sociaux. Mais si on fait ça, alors que signifie l'immigration irrégulière ? Est-ce qu'on est à l'aise avec ce futur-là ?", interroge M. Dumont.

"Pouvoir anticiper les mouvements, c'est une bonne chose", estime à l'OCDE Nina Gregori, directrice du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO).

Si elle n'écarte pas le risque de reconduites à la frontière, "l'identification de tout le monde sur notre territoire" pourrait avoir un "impact positif" pour les étrangers en situation irrégulière, susceptibles d'être régularisés car "il y a des économies entières, comme l'agriculture, qui sont semi-dépendantes de la force de travail des sans-papiers".

- Choc pétrolier -

"Plus on va vers des systèmes de contrôle, plus il faut des contre-pouvoirs", avertit le directeur de l'association Forum réfugiés, Jean-François Ploquin.

"Tout ceci pose l'énorme problème de la fiabilité des données. Ce n'est pas parce qu'un jeune Africain s'est déclaré majeur en Italie pour entrer en Europe qu'il n'est pas mineur en réalité. Ce n'est pas parce qu'on a une donnée répertoriée qu'elle est vraie", dénonce-t-il.

L'OCDE recommande aux gouvernement de ne pas fonder "exclusivement" leurs politiques sur les algorithmes et l'intelligence artificielle.

L'organisation voit d'autres facteurs possibles de migrations de masse comme par exemple une transition réussie vers une écologie sans carbone qui mènerait vers une chute des prix de pétrole.

Les pays exportateurs d'or noir, notamment au Moyen-Orient, qui s'appuient largement sur une main d'oeuvre immigrée, verraient non seulement un retour de ces migrants vers leur pays d'origine mais aussi un potentiel exode de leur population, avertit l'OCDE.

Qui conclut: le mélange de plusieurs facteurs pourrait générer "une parfaite tempête de déséquilibres des migrations internationales".

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