C'est l'aboutissement d'une opération délicate: une candidate EELV est à la tête de la coalition de gauche en mesure de gagner les élections municipales à Besançon, reprenant le rôle historique des socialistes, avec leur feu vert.
Entre deux averses glaciales, Anne Vignot a bien du mal à trouver des électeurs à qui distribuer son tract, mercredi sur le marché du quartier populaire Palente. Pourtant, cette ingénieure de recherche au CNRS, 60 ans, aux cheveux rouge sombre, est la favorite, portée par un sondage de janvier la créditant de 34% des voix au premier tour, reléguant le député de la majorité Eric Alauzet à 23%.
L'écologiste a réussi à unir derrière elle le PS, le PCF, Générations et le mouvement A gauche citoyens!, à la différence de beaucoup d'autres grandes villes, et alors que les socialistes règnaient sur Besançon depuis près de 70 ans.
Adjointe à la transition écologique, Anne Vignot a d'abord su profiter de circonstances favorables. Déjà privés de la prime au sortant après le départ à LREM du maire qui ne se représente pas, tourmentés par de mauvaises élections législatives puis européennes, les socialistes sont définitivement déboussolés par un catastrophique sondage qui fuite à l'été 2019.
Pour Nicolas Bodin, l'adjoint à l'urbanisme socialiste et alors candidat déclaré, commence le dilemme. Depuis des décennies, le patron de la fédération PS devient maire de Besançon. Sera-t-il le premier à renoncer? "J'y ai réfléchi quelques nuits... C'était un problème moral: partir seul mais avoir zéro élu socialiste?"
Convaincu d'une future "vague verte", il rejoint finalement la liste d'Anne Vignot. "A Besançon, le gros avantage d'avoir un maire socialiste et un député EELV (Eric Alauzet, NDLR) passés à LREM, c'est que ça a purgé les deux formations politiques. Donc tous ceux qui restent sont à gauche", observe le communiste Christophe Lime, 4e sur la liste.
L'écologiste s'était décidée dès septembre 2018, avant même le succès d'EELV aux européennes, à présenter sa candidature, confiant avoir pressenti le début d'une nouvelle ère au départ de Nicolas Hulot du gouvernement.
- "Petits pas" -
Pin's multicolore sur la veste, elle raconte sa méthode de rassemblement: "On a passé énormément de temps à discuter, et démarré tardivement l'écriture du programme. C'est normal, pour les socialistes c'est une douleur. Je fais en sorte de respecter tout le monde, en acceptant beaucoup de choses".
"C'est le bon casting: une femme, qui a toujours été écolo, avec une expertise", se réjouit l'ex-députée Barbara Romagnan (Générations). "Elle ne déclenche pas des enthousiasmes démesurés, mais c'est stable, cohérent, elle incarne quelque chose".
La mue écologiste des partis de gauche a pris du temps. "Ca nous a amusés dans les années 70 mais les écologistes ont eu raison avant les autres", concède Joseph Gosset, d'A gauche citoyens!, des anciens du Front de gauche. "Ils ont tellement imaginé l'écologie comme une niche qu'ils ont du mal à la penser transversale... Contrairement aux habitants", affirme Anne Vignot.
La candidate est d'ailleurs interpellée sur le marché par Paul, retraité, qui regrette qu'elle ne veuille réserver la gratuité des transports en commun qu'aux moins de 26 ans. "On fait le choix intermédiaire pour se donner les moyens financiers de développer les lignes", explique Anne Vignot. Mais Paul repart certain de son vote France insoumise, qui prône la gratuité pour tous.
Car les Insoumis font bande à part. Claire Arnoux, leur tête de liste, dénonce en Anne Vignot une représentante de "la majorité sortante", à "l'écologie des petits pas" et aux "formulations floues".
Plusieurs alliés ont également confié, sous anonymat, leurs difficultés à bien "cerner" l'ADN politique d'Anne Vignot. Un membre de la liste souffle: "je n'ai toujours pas compris quelles étaient ses priorités. (...) Elle pense qu'elle va remplacer le maire et gérer la ville mieux, plus justement, mais comment?"
D'autant que si elle est élue, Anne Vignot devra composer avec une majorité plus diverse que quand le PS dominait. Eric Alauzet, le candidat LREM, lui, en est sûr, "c'est très hétéroclite, ça ne peut pas tenir".