"Bassine arrière!": les opposants à un projet de "mégabassines" se mobilisent dans le Puy-de-Dôme

Sous la couleur bleue pour défendre l'eau comme un "bien commun", les opposants à la construction des "deux plus grandes mégabassines de France" organisent samedi une grande "randonnée pédagogique, festive et artistique" au départ de Vertaizon, dans le Puy-de-Dôme.

Plus de 5.000 militants, selon les organisateurs, 2000 selon le gendarmerie, se sont mobilisés pour dénoncer la construction de deux réserves d'eau, l'une de 14 hectares, l'autre de 18 hectares, destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne, où est implanté Limagrain, le 4e semencier mondial.

Le cortège accompagné de mesures de sécurité renforcée en raison de son caractère "sensible" après les violents affrontements survenus lors de la mobilisation de Sainte-Soline (Deux Sèvres) l'an dernier, s'est élancé peu après 10H30. Un petit groupe de cyclistes est parti de la ville voisine de Clermont-Ferrand pour rejoindre les marcheurs.

Pour beaucoup habillés en bleu pour "symboliser l'eau" à la demande des organisateurs -- dont Extinction Rebellion et les Soulèvements de la Terre--, les manifestants se sont rassemblés dans une ambiance bon enfant, avec deux tracteurs emmenés par la Confédération paysanne.

"Il faut faire bassine arrière", "Mort aux bâches". Sous le soleil, les manifestants s'équipent: crème solaire, peinture bleue et banderoles. "Et l'eau, elle est à qui? A nous", interroge un manifestant sur sa pancarte.

"On est là pour dire qu'on ne veut absolument pas que les travaux commencent", a lancé depuis le parvis de la gare de Vertaizon, point de rendez-vous, Anton Deums, du collectif Bassines non merci (BNM) 63.

La foule doit matérialiser dans l'espace le tracé d'une des deux retenues prévues, visant selon le collectif à "privatiser plus de 2,3 millions de m3 d'eau pour 36 exploitations, la plupart liées à Limagrain". Certains ont aussi prévu de planter une haie, signe d'opposition aux cultures extensives.

Vendredi déjà, une centaine de militants avait symboliquement semé du maïs +population+, une variété non stérile, sur une parcelle à une trentaine de kilomètres au sud de Billom, a indiqué Maud, du collectif organisateur, à l'AFP.

La "diversité génétique" de ce maïs lui donne la capacité de s'adapter aux évolutions climatiques "contrairement au maïs hybride Limagrain (...) sélectionné pour croître à grand renfort d'irrigation et d'intrants chimiques", selon les militants.

- Irrigation et 'sécurité alimentaire'-

Le collectif BNM dénonce des "gigabassines" qui "se rempliront directement par pompage" dans l'Allier, "une zone classée Natura 2000 qui supporte localement l'alimentation en eau potable de plus de 200.000 habitants".

"Dans ce pays, les agro-industriels, les gens qui font de l'argent, sont beaucoup plus entendus, (...) c'est Robin des bois à l'envers", a déclaré à l'AFP la secrétaire nationale des écologistes Marine Tondelier, parmi les manifestants. "Sur ce genre de projet c'est exactement ça, il n'y a plus assez d'eau. Réservons-la pour les plus riches, et laissons les autres se débrouiller", selon elle.

Pour Limagrain, "il est essentiel que les agriculteurs puissent continuer à produire des cultures de qualité en quantité suffisante" et donc "irriguer lorsque cela est nécessaire", au nom de la "sécurité alimentaire" en période de changement climatique.

Ces projets de mégabassines, portés par l'Association Syndicale Libre des Turlurons - qui regroupe 36 agriculteurs, dont le président de la coopérative Limagrain - n'ont pas encore fait l'objet de demande formelle d'autorisation, et leurs opposants espèrent obtenir un moratoire. Les antibassines accusent Limagrain de vouloir "sécuriser sa production de maïs semence destinée à l'exportation".

Selon la coopérative agricole, les retenues seraient remplies par prélèvements dans l'Allier entre le 1er novembre et le 31 mars, en respectant le débit autorisé de 45,7 m3/seconde.

"Quand on a commencé les premières manifs, la majorité des gens ne savaient pas ce que c'était qu'une bassine. Aujourd'hui le rapport de force sur ce sujet-là contre la privatisation de l'eau a considérablement augmenté", a déclaré à l'AFP Adèle Planchard, des Soulèvements de la Terre.

Les prélèvements d'eau destinés à l'irrigation ont plus que doublé entre 2010 et 2020 en France, pour atteindre 3,42 milliards de m3 en 2020, selon un rapport de la chambre régionale de la Cour des comptes de Nouvelle-Aquitaine publié en juillet 2023.